Publié le 23 mai 2014

SOCIAL

Le critère de l’adresse : le grand oublié des luttes contre les discriminations

Le critère de l’adresse reste déterminant dans une recherche d’emploi. Résider dans une zone sensible peut être handicapant pour les candidats. Les efforts des entreprises pour lutter contre cette discrimination sont toujours insuffisants. De timides initiatives commencent à émerger pour faire reculer les mauvaises habitudes des recruteurs en la matière.

"Si vous inscrivez 93 dans votre C.V, vous ne partez avec les mêmes chances de réussite que les autres. Il s’agit d’un ressenti très fort de la population". Daniel Golberg sait de quoi il parle. Ce député socialiste (PS) de Seine-Saint-Denis est un pur produit du 9.3 : "Je suis né, j’ai étudié et j’ai travaillé en Seine-Saint-Denis", aime-t-il à rappeler. De cette lutte contre les préjugés liés aux "endroits sensibles", il a fait un combat. Aux côtés de l’ex-ministre de la Ville, François Lamy, il a milité pour faire reconnaître l’adresse comme 20e critère de discrimination. Une disposition législative en vigueur depuis le début de l’année. L’élu veut croire que "cela permettra de lancer une démarche pédagogique auprès des recruteurs".

Si la réalité de cette discrimination est difficilement mesurable, le sentiment d’inégalité perçu par les habitants des zones sensibles est incontestable. En France, plus de la moitié des salariés estime qu’habiter dans un quartier sensible est un frein à l’embauche, selon une étude Ifop portant sur la perception des discriminations et menée en janvier 2014.

Les faits en attestent: les préjugés sur tel quartier ou tel département pèsent encore lourds dans les processus de recrutement. "La discrimination par l’adresse recoupe deux situations: le fait d’habiter dans un quartier sensible, mais aussi le fait de vivre loin du lieu de travail. Certains employeurs décident parfois unilatéralement que le temps de trajet est trop long et ne retiennent pas la candidature", explique Aline Crépin, Directrice RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises) du groupe Randstat, spécialiste des services en ressources humaines.

 

La discrimination par l’adresse ? Une mauvaise habitude…

 

Pour faire changer ce type d’attitude, la  loi est un bon point de départ : "elle permet de clarifier ce critère. Cela nous est utile lorsque nous voulons sensibiliser nos clients", estime cette professionnelle du recrutement. Une analyse partagée par Mariam Khattab, responsable recrutement et conseils ressources humaines (RH) au sein du cabinet Mozaïk RH. Une entreprise spécialisée dans la promotion de l’égalité des chances et de la diversité. "Le fait de lancer une procédure auprès du Défenseur des Droits porte déjà atteinte à l'image de l'entreprise, même si elle n'aboutit pas. Mais la loi est utile car, de tous les critères de discrimination, l’adresse est celui sur lequel agissent le moins les entreprises", souligne-t-elle.

C’est en effet ce qu’il ressort du bilan diversité 2013, dévoilé en décembre dernier. L’étude révèle que parmi les 3 000 entreprises signataires de la charte de la diversité, seules 23% intègrent des actions en faveur des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Un chiffre qui n’a pas évolué depuis 4 ans.

Dans le détail, les disparités selon les tailles d’entreprises sont fortes : 40% des sociétés de plus de 1 000 salariés l’incluent dans leur démarche contre seulement 21% des entreprises de moins de 50 salariés.

 

Une prise de conscience tardive des entreprises

 

En 2013, François Lamy a donc lancé une charte entreprises et quartiers destinée à favoriser l’accès à l’emploi pour les habitants des zones populaires. Une quarantaine d’entreprises l’ont à ce jour adoptée. Parmi elles, des groupes comme Auchan, SNCF, GDF Suez, SFR, Total, Saint-Gobain ou Randstat. Cette dernière a, par exemple, structuré ses actions en interne : en 4 ans, 1 000 salariés (responsables d’agence, managers...) ont été formés sur la non-discrimination, et tous les nouveaux entrants suivent une campagne de sensibilisation.

Dans ce domaine, d’importants efforts restent à faire. "L’adresse est stigmatisante. A titre personnel, lorsque je dis que je vis dans le 15e arrondissement, les gens sont surpris. Le problème n’est pas simplement l’adresse, mais le nom associé à l’adresse", témoigne Hakima Mouflih, administratrice de Global Potential, une association qui accompagne les jeunes du 93 dans leur projet professionnel. Malgré les difficultés à faire changer les mentalités, Mariam Khattab, reste optimiste : "La situation évolue. Nous avons de plus en plus de demandes d’entreprises qui passent par notre  intermédiaire pour trouver des jeunes motivés et compétents".

Céline Oziel
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