Publié le 16 juin 2017

SOCIAL

Ces médicaments qui excluent les femmes

Les médicaments sont-ils adaptés à la physiologie des femmes ? Ces dernières, sous-représentées dans les essais cliniques, subissent 1,5 à 2 fois plus d’effets secondaires que les hommes. En cause, les risques liés à la grossesse et à la prise de pilules contraceptives mais aussi l'idée que les hommes sont des standards physiologiques.


Depuis quelques années, les maladies cardiovasculaires sont devenues la première cause de mortalité chez les femmes. Or, selon la réalisatrice Cécile Moirin, qui a réalisé un film sur les accidents cardiaques pour France 5, les femmes sont en partie écartées des essais cliniques sur les médicaments sensés traités ces maladies. Résultat ? "Ces traitements ont des effets secondaires beaucoup plus nombreux chez les femmes", affirme-t-elle.  

De manière générale, "seules 30% des études cliniques incluent des femmes et environ 80% des études chez l’animal ne portent que sur des mâles", explique à Novethic Peggy Sastre, journaliste scientifique et auteure de "Le sexe des maladies". "Dans les essais cliniques, les femmes représentent moins du quart des patients enrôlés", ajoute-t-elle. Conséquence : les femmes auraient 1,5 à 2 fois plus d’effets secondaires liés aux médicaments que les hommes.

On a longtemps considéré le masculin comme un standard physiologique

Le cas du sida est particulièrement frappant. Les femmes représentent en moyenne 55% des personnes séropositives dans le monde. Pourtant, en 2012, elles n’étaient que 15 à 20% des participantes aux tests cliniques. "Les traitements entraînent des effets indésirables comme des dérèglements hormonaux, des risques d’infarctus plus élevés ou des problèmes de lypodystrophie, qui cause un déplacement des masses graisseuses dans le corps", témoignait Catherine Kapusta, coordinatrice du collectif Femmes et VIH, dans le Figaro.

"On a longtemps considéré le masculin comme un standard physiologique, on se rend compte depuis une bonne trentaine d’années qu’il est en réalité un "cas particulier" comme un autre", explique Peggy Sastre. "On pensait obtenir des résultats plus fiables, notamment à cause d’une fluctuation hormonale moins importante. Mais des études récentes sur des rongeurs montrent qu'une plus grande fluctuation hormonale chez les femmes ne se traduit pas par une plus grande variabilité des résultats".

Pas de femmes enceintes, ni sous pilule 

Du côté de l’Agence nationale de sécurité du médicament (AMSM), on assure que le ratio homme/femme, dans un essai clinique, doit être représentatif de la population visée. Mais, si les individus d’un sexe ne sont pas inclus ou sous-représentés dans un essai clinique, "le protocole de l’essai doit comprendre une justification de la répartition des participants par sexe".

Mais les arguments sont nombreux pour justifier les déséquilibres. "Si une femme est enceinte pendant un essai, il faut l’exclure. Cela pose des problèmes de recrutement et d’assurances si jamais son enfant présente des anomalies liées au médicament testé", explique Martin Winckler, ancien médecin et écrivain engagé pour l’égalité femme-homme. "Il faut donc prendre des femmes sous contraception. Or beaucoup prennent la pilule. Il peut y avoir des interactions médicamenteuses. C’est beaucoup plus simple pour les expérimentateurs d’exclure les femmes des essais quand il s’agit simplement d’en étudier la tolérance ou la pharmacocinétique".

Il existe plusieurs phases de test des médicaments. La première correspond au test de pharmacocinétique, soit la vitesse à laquelle se retrouve le produit dans le sang. Cette phase, testée sur des volontaires sains, présente un taux faible de femmes, environ 22% en France. Il est en de même pour la phase 1-2. Seule la phase 3, est paritaire, explique l’ANSM.

La médecine est en train de corriger ses erreurs 

Pour éviter les dangers, certains laboratoires préfèrent tout simplement exclure les femmes de leurs tests. Le laboratoire GlaxoSmithKline, numéro 7 de l’industrie pharmaceutique mondiale, confirme à Novethic que "au vue des contraintes et précautions à prendre, les médecins investigateurs choisissent eux-mêmes de limiter les inclusions de femmes dans les études".

"Les inégalités médicales procèdent en général de bonnes intentions", explique Peggy Sastre. "Il y a eu de véritables catastrophes sanitaires, avec le distilbène ou la thalidomide, et les femmes en âge de procréer ont longtemps été exclues de la recherche par mesure de précaution. Mais la médecine est une science, et en cela, elle procède par essais et erreurs. Nous sommes aujourd’hui en train de corriger un de ces erreurs", assure-t-elle. 

Marina Fabre @fabre_marina


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