Publié le 25 juin 2023
SOCIAL
Plan contre le surtourisme : quand les influenceurs portent de nouveaux imaginaires
Le gouvernement va faire appel à des influenceurs pour construire de nouveaux imaginaires du tourisme. Ces derniers, très critiqués pour le mode de vie ultra carboné, doivent changer de logiciel. Exit le luxe à outrance et la course aux paysages lointains. Les influenceurs écolos cassent les codes.

@Roman Odintsov / Pexels
Un petit déjeuner healthy, une piscine à débordement et la mer à perte de vue. Derrière ce décor ultra maîtrisé se cache souvent une usine de l'image : des dizaines d'influenceurs à l'écoute des indications d'une agence de voyage. Ces dernières ont bien compris l'opportunité qu'ils représentent. 40% des millenials, la génération née entre les années 1980 et 2000, choisissent les pays où ils voyageront grâce à Instagram, selon une étude du cabinet Schofields*.
Mais ce business encourage un tourisme ultra-carboné. Course aux plages paradisiaques aux quatre coins du monde, éloge du luxe, "city break" sur un coup de tête... Les influenceurs "lifestyle" et "travel" s'envolent au gré des partenariats conclus avec des hôtels ou des compagnies aériennes. Ils contribuent aussi à la saturation de certains lieux, pris d'assaut par des touristes en quête du cliché le plus "instagrammable".
Jeu concours de l'influenceuse Beichou_, un voyage à Bali à la clé
Face à ce constat, le gouvernement français veut que les influenceurs deviennent les promoteurs d'un tourisme plus écologique. C'est ce qu'indique le plan national de lutte contre le surtourisme**, publié le 18 juin. En plus d'outils pour mieux comprendre le phénomène de sur-fréquentation, il est prévu un groupe de travail avec des influenceurs volontaires. Objectif : faire en sorte que leur communication "n'encourage pas la fréquentation massive de sites touristiques" et qu'elle participe "à la sensibilisation de la clientèle touristique à ses impacts".
Une bascule écologique
Certains influenceurs ont déjà basculé vers un business model plus écologique. En France, Benjamin Martinie, alias Tolt, ne voyage plus qu'en train. Une décision motivée par ses proches. "Ils m'ont renvoyé à mes contradictions, je voulais faire du 0 déchets mais je multipliais les voyages en avion" explique-t-il. Aujourd'hui, les compagnies ferroviaires remplacent les compagnies aériennes dans les contrats qu'il signe. Il travaille aussi pour des départements, des régions et des marques, souvent françaises, à l'image du fromage Beaufort AOP, dont il raconte la vie des producteurs. D'autres, comme @kikimagtravel ou Boudumonde, se spécialisent dans la mise en avant des régions françaises. "Le confinement a été un déclic, beaucoup d'influenceurs ont dû promouvoir la France et certains y sont restés, témoigne le Comité régional du tourisme en Occitanie, qui fait régulièrement appel à eux. L'écologie est un fil rouge de cette communication."
Promouvoir le tourisme local amène de nouveaux codes où l'expérience compte autant que l'image. Par exemple, Tolt met en avant ses péripéties vécues dès la recherche du premier arrêt bus avant l'ascension de l'Etna, plus haut volcan actif d'Europe. Le concept de "micro-aventure", de courtes escapades proches de chez soi, en contact avec la nature, symbolise cet état d'esprit. "Le but est de rendre cool et sexy du banal, c'est un bon moyen d'engager la transition en s'adressant à une nouvelle cible aisée, très consommatrice de voyage et aussi la plus pollueuse", explique Amélie Deloffre, consultante en transition touristique et spécialiste de la micro-aventure.
Récit de l'ascension de l'Etna par l'influenceur Tolt
Les motivations sont variées : "l'apprentissage technique, comme savoir lire une carte ou gérer de très basses températures, la collection, comme l'envie de gravir tous les cols d'une région à vélo, et le jeu, où des règles habituelles sont détournées", liste Hélène Michel, chercheuse spécialiste de la gamification à Grenoble Ecole de management. Le défi de la marche ultra légère où les randonneurs vont jusqu'à couper des bouts de leur brosse à dent, popularisé avec le #ultralightbackpacking, ou encore des courses à thème comme la Glaglarace d’Annecy, une course de Paddle en Hiver, répondent à ces critères.
"Attention à ne pas déplacer le problème"
"Il faut faire attention à ne pas déplacer le problème, certaines personnes n'ont pas les codes, cela va de la musique poussée à fond à une mauvaise gestion des déchets", affirme Amélie Deloffre. Elle coordonne le collectif Itinéraire Bis, qui vise à promouvoir de nouveaux imaginaires touristiques plus écologiques. Celui-ci va convier en octobre plusieurs influenceurs "lifestyle" à un voyage dans un territoire au potentiel touristique peu exploité, la Haute-Loire, pourtant riche en patrimoine naturel et historique. "Les amener, c'est le plus efficace ", affirme-t-elle.
"Les influenceurs en transition se comptent sur les doigts d'une main", nuance aussi Amélie Deloche, fondatrice du collectif Paye ton influence, qui alerte régulièrement sur les pratiques peu éthiques des influenceurs. Les difficultés sont nombreuses. Il faut continuer à faire rêver, s'attendre à voir sa légitimité à porter des messages écologiques critiquée si le mode de vie ne suit pas et enfin s'apprêter à perdre des opportunités économiques. Si Tolt a vu ses revenus augmenter, certains ont beaucoup à perdre. L'influenceuse beauté Enjoy Phoenix a par exemple réduit d'un tiers ses revenus après avoir pris la décision de refuser l'envoi de paquets de produits pour lutte contre le gaspillage. "Le risque de perte d'audience est réel mais la nécessité à faire changer les imaginaires est énorme", défend Amélie Deloche.
* Etude Schoefields montrant l'impact d'Instagram dans les choix de voyage