Publié le 15 mars 2023
SOCIAL
Éboueurs, infirmières, caissières… les héros oubliés de la pandémie confrontés à la réforme des retraites
Ils étaient les héros lors des premiers mois de la crise sanitaire, applaudis aux fenêtres et balcons des Français pour leur mobilisation, ils manifestent désormais dans les rues contre la réforme des retraites. Les infirmières, les éboueurs, les caissières... ces métiers essentiels de la première et deuxième ligne se sentent "trahis" par les promesses de reconnaissance non tenues : "On était persuadés qu’il y aurait un monde d’après".

Stefano RELLANDINI / AFP
Il y a eu les applaudissements sur les balcons, chaque soir à 20 heures lors du premier confinement. Il y a eu les discours d’Emmanuel Macron, celui de l’annonce des restrictions, le 16 mars 2020 : "La Nation soutiendra ses enfants qui, personnels soignants en ville, à l’hôpital, se trouvent en première ligne dans un combat qui va leur demander énergie détermination, solidarité. Ils ont des droits sur nous. Nous leur devons évidemment les moyens, la protection. Nous serons là". Les signes étaient là. Après "l’horreur de la première vague, après le tri des patients qui a entraîné des milliers de morts évitables, on était persuadés qu’il y aurait un monde d’après", se rappelle Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), la gorge nouée. "On se sent trahis. Ça a été une cassure incroyable", raconte-t-il à Novethic.
La désillusion est symbolisée par la réforme des retraites, sur laquelle le gouvernement promet de ne pas lâcher. "Jusqu’en 2010 on pouvait partir à la retraite à 55 ans. On a eu une revalorisation salariale mais on a perdu 7 années de retraites", explique Thierry Amouroux. Désormais, les infirmières peuvent partir à 62 ans. Mais avec la nouvelle réforme des retraites, elles devront attendre deux années supplémentaires. Soit 9 années supplémentaires en seulement en 13 ans. "On travaille dans des conditions difficiles, un week-end sur deux, la nuit… On respire des produits chimio toxiques, on manipule des patients ce qui entraîne des troubles musculosquelettiques. On ne va pas prolonger pour deux ans de galère", défend Thierry Amouroux. Le SNPI appelle ainsi à poursuivre la mobilisation contre la réforme des retraites, et ce n’est pas le seul. Les salariés de la deuxième ligne, ceux qui ont tenu l’économie française pendant le confinement, sont eux aussi à bout.
"On nous applaudissait et maintenant on nous méprise"
"Il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal", déplorait Emmanuel Macron le 13 avril 2020. Trois ans plus tard, qu’en est-il ? "On nous applaudissait et maintenant on nous méprise", lance Leila Khelifa, hôtesse de caisse de 46 ans et déléguée syndicale CFDT dans un hypermarché niçois. "Partir à 62 ans c'était déjà compliqué, mais 64... Quand vous arrivez à 50 ans dans la grande distribution, vous êtes un vieillard, et tout ça pour un salaire de misère", déclare-t-elle à l’AFP. "Tout le monde est usé", renchérit Océane Pintat, employée dans un hypermarché de Béziers.
Car malgré les primes ponctuelles et de petites augmentations de branches, l’inflation et la crise du pouvoir d’achat sont passées par là. La réforme des retraites est la goutte d’eau. Preuve en est, la mobilisation exceptionnelle des éboueurs dans plusieurs villes de France. Au 9e jour de grève, à Paris, 6 600 tonnes de déchets non ramassés s’entassaient sur les trottoirs. "Le meilleur moyen de remettre les éboueurs au travail, c’est de retirer la réforme", lançait le 13 mars Emmanuel Grégoire, premier adjoint de la mairie de Paris.
"La pénibilité, on la ressent tous les jours"
La CGT FDTNEEA, qui représente les éboueurs, a ainsi décidé de reconduire la grève jusqu’au 20 mars. Si aucune donnée récente ne permet d’estimer l’espérance de vie des éboueurs, selon la CGT, "la grande majorité des personnels de la direction de la propreté et de l’eau a une espérance de vie de 12 à 17 ans de moins que l’ensemble des salariés". "La pénibilité, on la ressent tous les jours. Il y a le froid, la pluie... La nuit en ville, on travaille sur des bacs lourds, notamment ceux des restos, il faut faire attention à comment les manier pour ne pas s'arracher l'épaule", confie à l’AFP, Sébastien Vastel, éboueur à Bordeaux.
Alors que la période post-Covid ne s’est pas avérée être le monde d’après tant attendu, la réforme des retraites catalyse la fatigue et la colère des promesses non tenues des "travailleurs modestes". "Aujourd’hui, ceux qui occupent ou rejoignent les rangs de ces catégories, nous semblent relativement absents des grands débats sur les transformations du rapport individuel au travail", indiquait fin janvier la Fondation Jean Jaurès dans une note. Absents des débats mais bien présents dans la rue.
Marina Fabre Soundron avec AFP