Publié le 08 novembre 2023
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Zara, Gap, Levi's... Derrière la grève historique des ouvriers au Bangladesh, le prix dérisoire de nos vêtements
Ce sont des grèves historiques qui ont traversé les usines de textiles au Bangladesh. 600 d'entre elles ont ainsi été fermées pendant plusieurs jours à la suite de manifestations de milliers d'ouvriers qui réclament un triplement de leur salaire aujourd'hui plafonné à 70 euros par mois. Les usines qui les emploient s'y refusent, fragilisées par les pressions sur les prix de grandes marques comme H et M, Gap ou encore Zara.

@Munir Uz Zaman / AFP
10 ans après l'effondrement du Rana Plaza, cette usine textile qui avait provoqué la mort de plus de 1 100 ouvrières et ouvriers au Bangladesh, les conditions de travail des salariés du deuxième exportateur mondial de vêtements après la Chine, sont encore trop faibles. En témoigne la grève inédite à laquelle ont participé des milliers d'ouvriers la semaine dernière. L'ampleur est telle que 600 usines de fabrication de vêtements ont dû être mises à l'arrêt. Et la répression est forte : au moins trois ouvriers ont été tués dont une ouvrière le 7 novembre après des heurts avec la police.
Le mouvement a touché "les plus grandes usines du pays, qui fournissent toutes les grandes marques occidentales", a affirmé Kalpona Akter, présidente de la Fédération des travailleurs de l'industrie et de l'habillement du Bangladesh. Elle cite notamment "Gap, Walmart, H&M, le groupe Inditex (maison-mère de Zara ndlr), Bestseller, Levi's, Marks and Spencer, Primark et Aldi".
Principale revendication des grévistes : atteindre 190 euros de salaire mensuel, soit quasi un triplement de leur rémunération actuelle. Mardi 7 novembre, le comité du salaire minimum pour l'industrie textile du Bangladesh a finalement augmenté le salaire mensuel de base de 56,25%, le portant à 104 euros, effectif à partir de décembre. Une hausse jugée insuffisante et qualifiée d'"inacceptable" par la Fédération des ouvriers de l'industrie et de l'habillement du Bangladesh (BGIWF). Mais les ouvriers ne sont pas en position de force. "Nous n'avons pas d'économies. Combien de temps pouvons-nous continuer la manifestation si nous ne pouvons pas nourrir nos familles ?" a déclaré à l'AFP Rokon Uzzaman, un ouvrier du textile.
Une pression pour réduire les coûts
Si certaines marques dont Adidas, Hugo Boss, H&M ou encore Puma, ont écrit un courrier à la Première ministre Sheikh Hasina indiquant avoir "remarqué" que les salaires nets mensuels moyens n'avaient "pas été ajustés depuis 2019 alors que l'inflation a considérablement augmenté au cours de cette période", les distributeurs sont aussi épinglés pour leur pression sur les prix bas.
L'association Transform Trade et l'université d'Aberdeen ont montré dans une vaste enquête publiée en janvier 2023 que 70% des grandes marques s'approvisionnant au Bangladesh ont conservé avec plusieurs fournisseurs les mêmes prix d'achat qu'au début de la pandémie. Plus largement, 90% des enseignes se sont livrées à des pratiques d'achat déloyales comme des annulations de commande ou des refus de paiement. "Deux ans après le début de la pandémie, un fabricant sur cinq avait du mal à payer le salaire minimum tandis que de nombreuses marques de mode ont augmenté leurs bénéfices", déplore Muhammad Azizul Islam, responsable du projet et professeur de comptabilité spécialiste des problématiques de transparence des entreprises à l'Université d'Aberdeen.
Des "pratiques injustes"
L'enquête cite notamment H&M, Gap, Next, Primark et Zara parmi les entreprises ayant eu des "pratiques injustes" envers leurs fournisseurs. Ces dernières, sauf Gap, ont toutes signé la lettre de soutien des ouvriers. Contactée par Novethic, l'enseigne H&M affirme reconnaître son rôle à jouer "pour faciliter le paiement de salaires décents grâce à des pratiques d'achat responsables", sans donner plus de précisions sur ses engagements. Primark indique de son côté respecter les décisions d'augmentation des salaires.
Les marques de luxe ne garantissent pas non plus de meilleures pratiques. "A part les marques ayant des ateliers artisanaux, elles partagent les mêmes usines avec les mêmes salaires et les mêmes conditions de travail que des marques de fast-fashion, elles font simplement plus de marge", explique auprès de Novethic l'association Transform Trade.
Au Bangladesh, le textile est une industrie clé. Ses 3 500 usines emploient quatre millions de travailleurs, majoritairement des femmes et contribuent à 85% de la valeur des exportations annuelles. Le pays est aussi fragilisé par la baisse de la consommation au niveau mondial, liée à l'inflation, qui a déjà conduit à des licenciements massifs.
Fanny Breuneval avec AFP