Publié le 28 juin 2018

GOUVERNANCE D'ENTREPRISE

Lafarge mis en examen pour "complicité de crimes contre l’humanité"

Le cimentier Lafarge, accusé d'avoir financé des groupes jihadistes dont l'organisation État islamique pour maintenir son activité en Syrie, a été mis en examen jeudi 28 juin. Les juges d’instruction ont suivi la logique de l’ONG Sherpa en inculpant Lafarge SA pour "complicité de crimes contre l’humanité", une première mondiale pour une entreprise.  

Lafarge est accusé de complicité de crimes contre l'humanité pour avoir financer une organisation jihadiste.
@FranckFife/AFP

Après deux ans d'une enquête hors norme, et plusieurs mises en examen des dirigeants de Lafarge, c’est désormais l’entreprise elle-même, en tant que personne morale, qui est mise en examen. Les magistrats ont retenu quatre chefs d’inculpation : "financement d'une entreprise terroriste" et "mise en danger délibérée de la vie" de salariés, "violation d'un embargo" et "complicité de crimes contre l'humanité". Elle suit la logique défendue par l’ONG Sherpa et le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR). C’est leur plainte, qui en juin 2017, avait déclenché l’ouverture de l’information judiciaire.

Une première mondiale

Le groupe français, qui a fusionné en 2015 avec le Suisse Holcim, est soupçonné d'avoir versé au total près de 13 millions d'euros entre 2011 et 2015 à des organisations jihadistes. Le but était de maintenir l'activité de son usine de Jalabiya, dans le nord de la Syrie, alors que le pays s'enfonçait dans la guerre. Ces sommes correspondaient notamment au versement d'une "taxe" pour la libre circulation des salariés et des marchandises et à des achats de matières premières - dont du pétrole - à des fournisseurs proches de l'État islamique, d'après l'enquête.

"Lafarge a sacrifié ses salariés et pactisé avec des entités terroristes en toute connaissance de cause : elle doit répondre judiciairement de cette complicité de crimes contre l'humanité", a déclaré à l'AFP Marie Dosé, avocate de l'ONG Sherpa, partie civile. En mai dernier, l'ONG avait écrit aux juges pour leur demander de monter d'un cran dans les responsabilités en retenant le chef d'accusation de "complicité de crimes contre l'humanité". C’est ce qu’ils ont fait. Une telle décision est cependant une première mondiale pour une entreprise.

Sherpa demande l'ouverture d'un fonds d'indemnisation

Depuis le début de l’enquête, huit cadres et dirigeants ont été mis en examen, dont Bruno Lafont, PDG de Lafarge de 2007 à 2015, pour financement d'une entreprise terroriste et/ou mise en danger de la vie d'autrui. Ce jeudi 28 juin, les juges ont donc mis en examen, après son audition, Lafarge SA, la holding actionnaire à 98 % de la filiale syrienne Lafarge Cement Syria mise en cause.

"La mise en examen de Lafarge est un pas historique dans la lutte contre l'impunité des multinationales dans laquelle Sherpa est engagée depuis 17 ans. Cette affaire doit créer un précédent pour toutes ces entreprises qui alimentent des conflits armés. L’accès à la justice de milliers de victimes de pays en guerre, dont les plaignants syriens, en dépend", affirme Sandra Cossart, directrice de Sherpa. L'ONG demande désormais l'ouverture d'un fonds d'indemnisation pour tous les ex-employés de LCS (Lafarge Cement Syria, filiale de Lafarge en Syrie) et leurs familles.

Le groupe Lafargeholcim, né de la fusion en 2015 du français et du suisse Holcim, a aussitôt annoncé que sa filiale LSA saisirait la cour d'appel pour contester des "infractions qui ne reflètent pas équitablement (ses) responsabilités".

Béatrice Héraud @beatriceheraud avec AFP


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