Publié le 23 juillet 2020
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Les États ayant pris des mesures pour lutter contre le Covid-19 sont exposés à une vague de plaintes d’entreprises
Les États ayant pris des mesures strictes de confinement et d’arrêt de certaines activités économiques pour ralentir la propagation du Covid-19 pourraient se voir attaqués par de nombreuses entreprises s’estimant lésées. C’est ce que redoutent un collectif de 630 ONG internationales. Au Royaume-Uni, les compagnies aériennes ont déjà porté les mesures de quarantaine en justice.

@Gebbi Mur
Fermeture des commerces, restriction des déplacements, du nombre de clients, mises en quarantaine, moratoires sur le paiement des loyers ou interdiction des coupures de gaz ou d’eau… Les mesures sanitaires et sociales prises pour lutter contre la pandémie de Covid-19 pourraient mettre en difficulté les États face à de gros investisseurs ou multinationales s’estimant lésées par ces dispositions. C’est ce que craignent 630 associations internationales qui se sont réunies pour alerter les gouvernements dans une lettre ouverte. Elles les préviennent qu’une "vague de poursuites" se prépare un peu partout dans le monde.
Les ONG craignent notamment le recours à un dispositif déjà très controversé, le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE). Ce mécanisme d’arbitrage, inclus dans de nombreux accords de commerce et d’investissement, permet aux investisseurs étrangers de poursuivre les gouvernements auprès de juridictions spéciales lorsqu’elles s’estiment lésées par des réglementations. Jusque-là, ce dispositif a surtout été utilisé pour dénoncer des législations environnementales, avec des dédommagements à plusieurs millions voire milliards de dollars.
Déjà plusieurs plaintes
Dès le 4 mai, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) avait tiré la sonnette d'alarme. "Bien que les mesures [des États] soient prises pour la protection de l'intérêt public et pour atténuer l'impact négatif de la pandémie, certaines d'entre elles pourraient exposer les gouvernements à des procédures d'arbitrage engagées par des investisseurs étrangers", prévenait-elle.
Et pour cause, plusieurs plaintes ont ainsi déjà vu le jour. Au Royaume-Uni, trois compagnies aériennes -Ryanair, British Airways et EasyJet-, ont attaqué en justice les mesures de quarantaine de 14 jours imposées à tous les voyageurs arrivant de l’étranger. Pour les trois compagnies, un tel dispositif est "irrationnel et disproportionné" par rapport aux éléments scientifiques connus. Mais c’est surtout un nouveau coup porté à leur activité, déjà très mal à point depuis le début de la pandémie, et aux emplois qui y sont liés, disent-elles. D’autres menaces de poursuite ont déjà été formulées. C’est notamment le cas au Pérou à la suite de la suspension des péages sur les routes.
Les cabinets d’avocats en embuscade
Selon une enquête de Corporate Europe Observatory et Transnational Institute, des cabinets d’avocats conseillent activement les sociétés sur les options qui s’offrent à elles. Une dizaine de cas litigieux, extrêmement larges, ont été recensés par les cabinets d’avocats comme la restriction ou la suspension des activités des entreprises afin de limiter la propagation du virus et de protéger les travailleurs, ce qui a été réalisé dans de nombreux pays. Le secteur de la santé est aussi particulièrement ciblé via les mesures ayant permis de sécuriser les ressources des systèmes de santé (utilisation des établissements hospitaliers privés, placement des prestataires de soins privés sous contrôle public comme en Irlande ou en Espagne, obligation pour les industriels de produire des ventilateurs ou autres matériel médical comme aux États-Unis…) ou celles permettant de s’assurer que les médicaments, les tests et les vaccins soient abordables.
Pour éviter une telle avalanche de plaintes qui pourraient amenuiser l’action des États tout autant que leur budget déjà mis à mal avec la pandémie, les ONG demandent aux gouvernements de revoir et d’encadrer ces mécanismes de règlements des différends, au moins sur les sujets sanitaires actuels.
Béatrice Héraud, @beatriceheraud