Publié le 21 février 2022
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Suisse Secrets : le Crédit Suisse se retrouve au cœur d’un scandale de financement de la corruption
Une enquête menée par un consortium de 47 médias internationaux révèle des pratiques douteuses du Crédit Suisse. D’après l’étude d’une vaste fuite de données sur les clients de la banque, des fonds issus notamment de la corruption internationale ont été hébergés dans ses coffres jusqu’aux années 2010. Des accusations que la banque rejette catégoriquement.

@RemyGenaoud AFP
Le Crédit Suisse se retrouve dans la tourmente. Les pratiques du groupe bancaire sont épinglées par une enquête menée par un consortium international de journalistes, qui l’accuse d’héberger des fonds d’origine criminelle ou illicite. Accusations que la banque suisse "rejette fermement".
L'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), consortium regroupant 47 médias parmi lesquels Le Monde, The Guardian, le Miami Herald ou encore La Nacion, a passé au crible les données de plus de 18 000 comptes bancaires hébergés depuis le début des années 1940 et jusqu’à la fin des années 2010. L’enquête fait apparaître que des fonds issus du crime ou de la corruption ont transité dans les coffres-forts de la banque pendant plusieurs décennies, "au mépris des règles de vigilance s'imposant aux grandes banques internationales", écrit Le Monde.
Les données proviennent d’une fuite et ont été remises anonymement il y a un peu plus d’un an au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung. Elles concernent des comptes appartenant à 37 000 personnes ou entreprises, pour un montant total de plus de 100 milliards de dollars (plus de 88 milliards d'euros), "dont au moins huit milliards liés à des clients identifiés comme problématiques", assure Le Monde.
Le Crédit Suisse se défend
Le Crédit Suisse a vivement réagi à ces accusations via un communiqué, affirmant que les données étudiées sont "partielles, inexactes, ou sont prises hors de tout contexte, entraînant une présentation tendancieuse de la conduite des affaires" par la banque. "90% des comptes concernés sont aujourd'hui clôturés, dont plus de 60% avant 2015", assure la banque, qui précise par ailleurs mener l'enquête concernant la fuite de données.
Pour les médias du consortium cependant, les pratiques mises en lumières ont toujours cours au sein de la banque et impliquent directement l'état-major du Crédit Suisse. Pire, Le Monde ajoute que plusieurs médias au sein de l'OCCRP, se faisant passer pour des "clients fortunés en quête de discrétion" se sont vu proposer des instruments permettant d'ouvrir un compte anonymement, et même la mise en place de holdings avec prête-noms et trusts, une façon de remplacer les comptes numérotés anonymes, une pratique d’opacification en cours de disparition en Suisse.
1 % des clients sont européens
Parmi les personnes recensées dans les données entre les mains de l'OCCRP, l'immense majorité proviennent de pays en développement. Les clients domiciliés en Europe occidentale ne représentent que 1 % du total. Apparaissent notamment le roi Abdallah II de Jordanie ou le président du Kazakhstan Kassym-Jomart Tokaïev, mais également des fonctionnaires de plusieurs pays arabes "qui ont sorti de grosses sommes d'argent de leur pays au moment des printemps arabes", détaille le quotidien.
Crédit Suisse, le numéro deux du secteur bancaire helvétique, a été secoué par une série de scandales depuis plus d'un an. Tidjane Thiam avait ainsi dû démissionner de son poste de dirigeant de la banque en 2020 pour des faits d'espionnage, notamment de Greenpeace Suisse. En mars 2021, la banque a été éclaboussée par la faillite de la société financière Greensill, dans laquelle quelque 10 milliards de dollars avaient été engagés par le biais de quatre fonds, puis par l'implosion du fonds américain Archegos qui a coûté quelque 5 milliards de dollars à la banque.
En octobre, elle s'était de surcroît vu infliger 475 millions de dollars de pénalités par les autorités américaines et britanniques pour ses prêts à des entreprises d'État au Mozambique, qui s'étaient retrouvées au cœur d'un scandale de corruption. Début février, s'est également ouvert un procès devant le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone, dans la partie italophone de la Suisse, autour d'une organisation criminelle bulgare.
La rédaction avec AFP