Publié le 22 juin 2016
ENVIRONNEMENT
Fusion Bayer/Monsanto : une menace pour la santé et l’environnement
L’annonce par Bayer de racheter Monsanto pour 62 milliards de dollars est une mauvaise nouvelle pour la santé et l'environnement. L'alliance des semences et de la chimie conduit à spécialiser la recherche sur des variétés tolérantes aux pesticides produits par les firmes. Et elle se traduit par une augmentation de l'utilisation de ces produits toxiques. Un marché prometteur, qui justifie l'offre généreuse de Bayer pour acquérir le groupe le plus contesté de la planète : à eux deux, ils domineront le marché des OGM et pesticides.

Jan Schmidt-Whitley / NurPhoto
Fin mai 2016, l’entreprise chimique allemande Bayer a proposé 62 milliards de dollars pour racheter Monsanto. Si les négociations entamées depuis aboutissent, la fusion du géant de l'agrochimie et de la multinationale des OGM renforcera encore la stratégie du secteur de développer conjointement semences et pesticides.
Avec l’acquisition de Monsanto, Bayer accélère sa transformation vers une multinationale de ce qu’elle appelle les sciences de la vie, explique Antonio Michelmann, de l’ONG Coordination contre les méfaits de Bayer. Elle suit exactement la même stratégie que Monsanto a un temps adoptée. Fondé en 1901, Monsanto était d’abord un producteur majeur de plastiques. C’est dans les années 1980 que l’entreprise entreprend son virage dans les biotechnologies agricoles. "En reprenant l’Américain, Bayer deviendrait un leader mondial dans ce domaine et hisserait cette activité au même niveau que la pharmacie dans son portefeuille. Une alliance extrêmement dangereuse pour la santé publique et l’environnement", souligne le militant allemand.
Une recherche focalisée sur la résistance aux pesticides
En effet, Monsanto est le premier à avoir adapté sa recherche sur les semences transgéniques à l’utilisation de son herbicide phare le Roundup. Une majorité des OGM commercialisés aujourd'hui dans le monde sont des semences "Roundup Ready", c'est à dire résistantes à l'herbicide total. Cette stratégie a conduit à une envolée de l'utilisation du Roundup en Amérique. Et aujourd'hui, les milieux et les individus sont contaminés par la substance active du Roundup, le glyphosate, reconnu cancérogène par l'OMS.
Pour de nombreuses organisations paysannes et écologistes, l'alliance des semences et de la chimie a fait beaucoup de dégâts dans le secteur de la sélection des plantes. Car les géants de l'agrochimie concentrent leurs recherches sur une poignée de cultures (mais, soja, coton...) sélectionnées pour leur tolérance aux produits chimiques. Une stratégie loin des aspirations à l'agroécologie ou à l'adaptation au changement climatique.
L'explosion des nouvelles techniques de sélection (NBT) permet aujourd'hui aux industries des biotechnologies de produire rapidement des variétés génétiquement modifiées résistantes aux herbicides. Et si le refus des OGM, notamment en Europe, avait fermé de nombreux marchés, les industriels se mobilisent pour que les semences issues de NBT échappent à la réglementation sur les OGM.
Pour Bayer et Monsanto, un marché potentiel de... 23 milliards de dollars
L’enjeu économique est énorme dans une branche où la concurrence est rude. Le secteur est actuellement en proie à une concentration sans précédent. Deux fusions sont en cours : celle de Dow Chemical avec DuPont, et celle de Syngenta avec ChemChina. En arrière-plan de cette course au gigantisme : la baisse des prix des matières agricoles. Mais pas seulement.
"Le développement des biotechnologies, OGM en tête, nécessite un budget recherche de plus en plus élevé. Et plus on est grand, mieux on peut amortir les coûts de recherche", explique un courtier à la bourse de Francfort. Il avance un autre facteur de concentration, capital pour les multinationales agrochimiques : la course aux brevets et aux semences. "Plus une entreprise possède de brevets et plus elle possède de semences, plus elle contrôle le marché", résume froidement l’expert financier. Aussi, racheter Monsanto pour Bayer "est une chance unique de dominer le marché mondial agricole", analyse Peter Spengler, analyste chez DZ Bank, cité par l’agence de presse DPA. "On parle de 23 milliards d'euros de ventes combinées."
Une manœuvre d’autant plus prometteuse aux yeux de Bayer que les industriels de l'agrochimie bénéficient également de règlementations nationales de plus en plus favorables, conséquence des accords bilatéraux passés entre l'Europe et les États-Unis avec le reste du monde. Ces accords de libre-échange entérinement en effet la reconnaissance de la propriété intellectuelle ou l'adoption d'un catalogue officiel des semences, autant de mesures qui garantissent un recours aux semences industrielles au Sud.
Un seul recours, le droit de la concurrence ?
La protestation contre cette fusion ne s'est pas fait attendre, avec la mobilisation des nombreux opposants à Monsanto. En Allemagne, une pétition lancée le 24 mai a recueilli d’ores et déjà plus de 368 000 signatures. Dans une lettre ouverte au PDG de Bayer, des personnalités comme l'activiste indienne Vandana Shiva ou l'ancienne ministre allemande de l'agriculture Renate Künast demandent déjà des comptes : "Est ce que la Bayer AG est disposée à prendre en charge, après le rachat de la société Monsanto, les dégât causés partout dans le monde par cette compagnie et la réhabilitation des sites contaminés du passé ?"
Les opposants comptent sur les règles de la concurrence, qui pourraient jouer contre la très forte concentration à l'oeuvre dans le secteur. L'ONG ETC Group propose même un soutien aux individus et aux organisations voulant faire pression auprès des autorités de la concurrence en Europe, aux États-Unis et ailleurs.