Publié le 16 avril 2021

ENVIRONNEMENT

En Ouganda, deux jeunes militants tentent de mobiliser pour le climat malgré les risques

Dans un pays pourtant déjà frappé par ses effets, la lutte contre le dérèglement climatique n’est qu’une préoccupation secondaire par rapport aux objectifs de développement économique. Vu de France, la principale controverse connue concerne la construction du pipeline de Total. Mais l’enjeu est plus global, et de jeunes activistes s’emploient sur le terrain à proposer une voie alternative, avec un soutien international et malgré les risques.

Femmes eau Lac Albert Afrique Ouganda YasuyoshiCHIBA AFP
Des femmes ougandaises récupèrent de l'eau dans le lac Albert où est prévu une exploitation pétrolière.
@YasuyoshiChiba/AFP

Hilda Nakabuye et Moses Mulindwa ont la vingtaine, et partagent avec beaucoup de jeunes de leur âge une conscience aigüe des enjeux écologiques et climatiques. En Ouganda, un pays d’Afrique centrale dont ils sont originaires, leur combat pour un avenir plus durable se heurte aux impératifs économiques, aux mentalités et à une liberté d’expression restreinte. Ils continuent pourtant de se mobiliser, déplorant les nouvelles inégalités créées par les effets du changement climatique.

Les deux militants partagent le même constat : la protection de l’environnement et le climat sont des préoccupations bien éloignées du quotidien des Ougandais, faute de place dans le débat public et d’enseignement. Moses souligne que c’est "l’ignorance qui est le principal obstacle à la prise de conscience des citoyens", qui voient leurs conditions de vie se dégrader sous le coup d’inondations et de glissements de terrains chaque année plus meurtriers.

Hilda est l’une des fondatrices de l’antenne ougandaise de Fridays For Future, le mouvement de jeunes en grève pour le climat inspiré par Greta Thunberg, auquel Moses est également associé. Cependant, ce mode d’action vise surtout à se donner une visibilité sur les réseaux sociaux et à l’international : il trouve peu d’écho au niveau local. La mobilisation passe par un patient travail de terrain, entre ateliers de sensibilisation dans les écoles et universités, opérations de nettoyage ou de plantation d’arbres. L’objectif est d’impliquer une population très jeune et rurale, mais qui a encore peu accès à Internet.

Le poids politique des impératifs du développement économique

Ces actions rencontrent une certaine défiance dans un pays qui se préoccupe avant tout de développement économique, pour sortir ses citoyens de la pauvreté. Des risques pèsent sur de riches écosystèmes naturels en raison de l’exploitation du pétrole autour du lac Albert et de la construction d’un pipeline qui court jusqu’à l’océan Indien. Ce projet est porté en particulier par le pétrolier français Total. Les autorités opposent la perspective d’une manne financière pour l’État et de créations d’emplois.

Le dialogue est difficile avec des politiciens peu intéressés, voire hostiles aux revendications environnementales, qui y voient une manœuvre de forces d’opposition. Les jeunes militants ont déjà été arrêtés à plusieurs reprises par la police et subissent des menaces, à tel point qu’ils avaient décidé de ne plus manifester dans les rues pendant la période électorale tendue qu’a connue l’Ouganda cet hiver.

Mais avant même des risques d’arrestations, les complications administratives pour obtenir les autorisations nécessaires à certaines activités s’accumulent, parfois jusqu’à l’absurde : Hilda a ainsi rapporté avoir consulté sept bureaux différents en trois mois pour faire valider l’organisation d’une campagne de ramassage des déchets sur les bords du lac Victoria.

S’affirmer comme acteurs d’un changement durable

Malgré les difficultés, les deux jeunes militants n’entendent pas baisser les bras. Le soutien international appuie leur détermination : Hilda a participé à la COP25 avec Fridays For Future, tandis que la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD) a distingué Moses comme "Land hero". Ils déplorent néanmoins le manque d’ambition et d’action concrète qui caractérisent beaucoup de grandes conférences, ainsi que l’insuffisante inclusion des jeunes et des communautés autochtones dans leurs décisions.

"Nous ne voulons pas être réduits au statut de victimes de la crise climatique, mais proposer des idées et des solutions" :  Hilda décrit ainsi le sens de son engagement, empreint de justice sociale et d’indépendance. Une voix militante qui s’élève parmi d’autres, en espérant imposer la lutte contre le changement climatique comme un enjeu vital pour son pays.

Paul Kielwasser, à Kampala (Ouganda)


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