Publié le 10 novembre 2023
ENVIRONNEMENT
Contestations inédites au Panama contre la plus grande mine de cuivre d'Amérique centrale
Des milliers de personnes ont défilé dans les rues du Panama, fin octobre, contre l'extension de l'exploitation de la mine Cobre Panama, la plus grande d'Amérique centrale. Avec des regroupements spontanés de multiples syndicats, le mouvement est aussi surprenant que massif. L'écologie, mêlée aux enjeux de souveraineté, s'est hissée parmi les principales préoccupations des citoyens ces dernières années.

@Roberto Cisneros / AFP
Un mouvement de grande ampleur contre l'extension d'une mine de cuivre secoue le Panama. Au plus haut de la mobilisation, le 30 octobre, des milliers de personnes ont défilé dans les rues de la capitale, agitant le drapeau national. Des écoles ont été fermées pendant une semaine face aux multiples rassemblements organisés par des syndicats de médecins, électriciens, enseignants, pêcheurs ou encore étudiants. Les tensions se sont exacerbées et deux personnes bloquant une route ont été tuées mardi 7 novembre.
EL ORO DE PANAMÁ ES VERDE#NITO #PanamaProtesta #ContratoMinero pic.twitter.com/Vw8bVDxqGm
— Diddy Garcia (@DiddyGarciaa) October 30, 2023
Les Panaméens protestent contre une loi visant à accorder à l'entreprise canadienne First Quantum Minerals le droit d'exploiter pendant encore 40 ans la mine de cuivre Cobre Panama. C'est la plus grande mine à ciel ouvert d'Amérique centrale, située au cœur d'un corridor biologique à la jonction entre l'Amérique centrale et l'Amérique latine. Elle fournit 1% de la production mondiale. "Le peuple est dans la rue pour défendre la souveraineté face à un contrat qui renonce à l'autodétermination en dévastant l'environnement", a déclaré le secrétaire général du Syndicat National des Travailleurs de la Construction et des Industries Similaires (SUNTRACS), Saúl Méndez.
First Quantum Minerals défend quant à lui un projet conforme aux obligations environnementales et utile pour l'économie du pays. "Nous nous engageons pleinement à fonctionner de manière respectueuse de l'environnement, en respectant toutes les obligations de conformité environnementale et en soutenant la biodiversité du Panama", affirme la société dans un communiqué. Elle ajoute que la mine contribue à "5% du PIB du pays" et, directement et indirectement, à l'emploi de "40 000 personnes". L'entreprise devra aussi fournir 375 millions de dollars de recettes annuelles pour le Panama en échange de la prolongation de sa concession.
Un mouvement d'une étendue inédite
La mine de Cobre Panama suscite des contestations depuis plusieurs années, mais l'étendue du mouvement est cette fois inédite. "On observe des marches dans de toutes petites villes, des personnes qui n'ont rien à voir avec la mine manifestent spontanément, s'étonne Daviken Studnicki-Gizbert, enseignant-chercheur spécialisé sur l'histoire de l'extraction des ressources en Amérique latine à l'université canadienne McGill. Avant, l'extraction minière était seulement vue comme un problème Ngobe, une communauté qui vit sur l'une des plus importantes réserves de cuivre du monde."
Plusieurs facteurs ont contribué à ce mouvement selon le chercheur. Il évoque notamment "les trois bassins versants pollués par la mine", "les images dans les médias de l'eau devenue blanche dans certains villages" et "les pénuries d'eau qui ont frappé le pays pendant des mois l'an dernier", limitant la circulation du canal de Panama. Également, "le souvenir de l'expérience coloniale", l'idée que "la plupart des bénéfices partent à la bourse de Toronto" et "la corruption" contribuent selon lui à la colère.
Face à la contestation, l'Assemblée nationale du Panama a finalement voté, le vendredi 3 novembre, pour un moratoire empêchant tout nouveau projet minier, sauf celui de Cobre Panama. La loi qui permet son extension sera examinée par la Cour suprême. Celle-ci l'avait déjà jugée anticonstitutionnelle sans toutefois empêcher le lancement de la production commerciale de la mine en 2019. Le gouvernement craint par ailleurs que First Quantum Minerals ne se retourne juridiquement contre lui pour demander une contrepartie financière si le projet devait être stoppé.
"Notre société est prête au changement"
Les conflits contre l'extraction minière sont de plus en plus nombreux, poussés par des projets plus vastes qu'auparavant, et justifiés par les compagnies par les besoins de la transition énergétique. L'Observatoire des conflits miniers en Amérique latine (OCMAL), une association dédiée à la défense des victimes des pollutions des mines, montre sur une carte leur multiplicité, particulièrement au Mexique, au Chili et au Pérou.
Conflits miniers en Amérique latine recensés par l'Observatoire des conflits miniers en Amérique latine (OCMAL)
Cette année, deux pays d'Amérique latine ont abandonné d'importants projets d'extraction en raison de leur impact environnemental. L'Équateur a ainsi voté en août l'arrêt de l'exploitation du pétrole dans le parc de Yasuni. En février, le Chili, pays dont l'économie repose en majeure partie sur l'industrie minière, a renoncé au projet minier Dominga de cuivre et de fer. "En Amérique latine, nous sommes bien plus conscients qu'avant de l'importance de ne pas vendre l'environnement, notre société est prête au changement", s'enthousiasme Osvaldo Jordan Trabajo, chercheur en sciences politiques au Centre international d'études politiques et sociales (CIEPS) du Panama.