Publié le 16 juillet 2015
ENVIRONNEMENT
Pollution de l’air : un coût sanitaire considérable et une aberration économique
La pollution atmosphérique est responsable de 42 000 à 45 000 décès prématurés par an. C'est également un gouffre économique et financier pour la France. Un rapport sénatorial, publié ce 15 juillet, l’estime à 100 milliards d’euros par an. Mais ses auteurs, qui ont enquêté pendant 5 mois et ont auditionné plus de 80 personnes, avertissent : il s'agit d'une estimation a minima. Explications.

CITIZENSIDE / CAROLINE PAUX
101,3 milliards d’euros par an. C’est ce que coûte, au minimum, la pollution de l’air à la France, selon les auteurs d'un rapport sénatorial intitulé "Pollution de l’air, le coût de l’inaction". "Ce coût est pourtant largement sous-estimé, car les études sur lesquelles nous nous basons montrent des limites. Par exemple, en prenant en compte un ou deux polluants seulement, la plupart du temps", souligne la sénatrice EELV Leïla Aichi, rapporteure de la Commission d’enquête.
Un coût chiffré a minima
Les 101,3 milliards sont basés sur la fourchette haute de l’étude de 2005 "Air pour l’Europe", menée dans le cadre européen et qui estimait le coût sanitaire ou socio-économique de la pollution de l'air (traitement des maladies, absentéisme, mortalité et morbidité imputable à la pollution) entre 68 et 97 milliards d’euros pour la France. Mais cette étude ne se focalisait que sur l’ozone et certaines particules fines (les principaux polluants atmosphériques), laissant de côté toutes les nano-particules.
Quant aux 4,3 milliards d’euros que la commission ajoute aux 97 milliards initiaux, ils concernent le coût non sanitaire de cette pollution, soit les impacts sur les bâtiments et les rendements agricoles. Là encore, il s'agit d'un coût a minima, les études sur les impacts sur les rendements agricoles ne concernent que l’effet de l’ozone sur le blé. Et aucune étude ne s’est penchée sur les impacts en termes de biodiversité.
Pour ce qui est de l’impact de la pollution sur les bâtiments, il risque d’être exponentiel ces prochaines années. À titre d’exemple, la rénovation du Panthéon a coûté 10 fois plus cher que prévu (890 000 €), du fait de la surprotection qui a dû être mise en place pour les ouvriers exposés au plomb anciennement contenu dans les gaz d’échappement des voitures, et déposé il y a des dizaines d’années sur la façade du monument.
Enfin, ni les effets cocktails (mélange de plusieurs polluants), ni le coût sanitaire de la pollution intérieure - évaluée à près de 20 milliards d’euros par l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) - "qui se recoupe en partie avec celui de la pollution extérieure", n’ont été intégrés.
Rappelons aussi que la France est sous la menace de condamnations européennes pour sa mauvaise qualité de l’air : la Commission européenne estime que le pays "n’a pas adopté les mesures qui auraient dû être appliquées depuis 2005 pour protéger la santé de ses citoyens" dans une dizaine de villes (dont Paris, Lyon, Grenoble et Marseille). Et encourt à ce titre des millions d’euros d’amende.
À l’inverse, la lutte contre la pollution est synonyme d’opportunités, tient à souligner la Commission. En termes d’emplois et d’économies réalisées notamment. Une étude de l'INERIS (Institut national de l'environnement industriel et des risques) a mesuré les bénéfices sanitaires associés à la baisse des émissions de polluants. À échéance 2030, le respect des nouveaux plafonds d’émission nationaux proposés par la révision de la directive européenne pourrait permettre un gain annuel net de plus de 11 milliards d’euros pour la France.
Haro sur le diesel
Face à ce constat, la Commission propose une série de 61 mesures, ciblant notamment les premières sources de pollution atmosphérique : les transports (taxe sur les émissions d'azote, d'oxyde d'azote et de particules fines, renforcement des normes existantes) mais aussi l’agriculture (produits phytosanitaires et ammoniac). Ainsi qu’un renforcement des moyens de la recherche : "Ces mesures sont marquées à la fois par la raison et l’ambition, mais avec un degré de précision volontairement bas pour laisser une marge de manœuvre au politique", a déclaré Jean-François Husson, sénateur Les Républicains et président de la Commission. S’il "ne s’agit pas de faire de l’écologie punitive", comme l’ont rappelé le président de la commission et la rapporteure, "il apparaît clairement que la règlementation est le premier effet de levier, souhaité même par les industriels".
La balle est donc dans le camp du gouvernement. A la sortie du Conseil des ministres le 15 juillet, Ségolène Royal a promis des "mesures extrêmement fermes" dès "la semaine prochaine". Des mesures étatiques mais aussi territoriales : "Il faut aussi que les maires des grandes villes prennent leurs responsabilités, dès lors que la loi de transition énergétique va leur donner des moyens d'agir, notamment pour créer des zones de restriction de circulation", a déclaré la ministre de l’Écologie au Monde.
À Paris et en Île-de-France par exemple, le trafic routier est à l’origine de deux tiers des émissions de dioxyde d’azote, et de 55 % des émissions de particules, rappelle Anne Hidalgo en réaction au rapport. "En s’appuyant sur la loi de transition énergétique, dès le 1er septembre 2015, la circulation des véhicules lourds les plus polluants (autobus, autocars et poids-lourds immatriculés avant 2001), sera interdite à Paris. À l’été 2016, cette interdiction sera étendue aux véhicules légers, utilitaires et deux-roues motorisés les plus anciens. Des aides à la mobilité ou au renouvellement du parc accompagnent ces mesures de restriction. D’ici 2020, Paris engagera 20 millions d’euros en faveur de ce plan de lutte contre la pollution", tient à préciser la maire de Paris dans un communiqué.
Mais pour elle comme pour la rapporteure de la commission, la question de la suppression rapide des aides fiscales au diesel (une prérogative de l'État) de façon progressive jusqu’en 2020, est donc plus que jamais d’actualité.