Publié le 11 avril 2023

ENVIRONNEMENT

Le Vanuatu, ce petit pays qui soulève des montagnes dans la bataille climatique

Le Vanuatu, ce petit pays du bout du monde arrive, du haut de ses 300 000 habitants (l’équivalent de Montpellier) à soulever des montagnes dans la bataille climatique au niveau international. Après avoir obtenu un accord à la COP27 sur les pertes et dommages, il vient de remporter un autre gros morceau : une résolution de l'ONU qui va saisir la Cour de justice internationale sur les obligations juridiques des États en matière de changement climatique. 

Le Premier ministre Alatoi Ishmael Kalsakau de Vanuatu resolution avis consultatif CIJ sur les obligations des E tats en matiere de lutte contre le changement climatique UN Photo Manuel Elias
Le Premier ministre Alatoi Ishmael Kalsakau de Vanuatu informe les journalistes sur le projet de résolution demandant un avis consultatif de la CIJ sur les obligations des États en matière de lutte contre le changement climatique.
UN Photo/Manuel Elias

C’est l'histoire d’un petit archipel du bout du monde qui accomplit de très grandes choses. Niché dans l’océan Pacifique, entre la Nouvelle-Calédonie et les îles Salomon, le Vanuatu – il porte bien son nom puisque qu’il signifie "pays debout" - est à l'initiative de plusieurs batailles climatiques au niveau international. Il faut dire qu’il subit déjà de plein fouet les impacts du changement climatique. Ses 83 îles sont très exposées à la montée des eaux, et de nombreux villages côtiers ont déjà du être déplacés. Il est aussi classé comme le pays le plus exposé aux risques naturels au monde par le World Risk Index. Depuis 1940, il est frappé par un cyclone tous les deux ans en moyenne. Mais ça c’est en théorie. Dans la pratique, début mars, c’est un double cyclone qui a balayé le pays, rasant presque intégralement la capitale et tuant 24 personnes.

Dès lors, on comprend la motivation du Vanuatu à se faire entendre sur la scène internationale. Le 29 mars dernier, il a remporté une victoire historique en faisant adopter par l’Assemblée générale des Nations-Unies une résolution visant à demander à la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction au monde, de se prononcer sur les "obligations" des États dans la lutte contre le changement climatique. "Ensemble, vous écrivez l'Histoire", a lancé le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres, estimant que même non contraignant, le futur avis de la CIJ pourrait aider les gouvernements à "prendre les mesures climatiques plus courageuses et plus fortes dont le monde a si désespérément besoin".

Premier avis de la Cour de justice internationale sur le climat

Tout commence en 2019, lorsqu’une trentaine d’étudiants en droit de l’université du Pacifique, frustrés par le manque d'action du monde contre le changement climatique, lancent une campagne pour persuader leurs dirigeants de porter une résolution devant la plus haute cour de l'ONU. Le gouvernement vanuatais s’empare de l’initiative deux ans après. Avec son bâton de pèlerin, il réussit à convaincre plusieurs autres États de le soutenir. Fin décembre, ils étaient environ une vingtaine parmi lesquels l’Allemagne, le Portugal, le Maroc ou encore le Bangladesh. Puis à quelques jours du vote à l’Onu, ils sont plus de 130.

La Cour de justice internationale, qui a rendu une trentaine d’avis consultatifs depuis 1948 sur des sujets aussi importants que l’indépendance du Kosovo, les essais nucléaires, ou la construction d’un mur sur les territoires occupés palestiniens, s’exprimera pour la première fois sur le climat. Elle va devoir répondre à deux questions très concrètes : "Quelles sont, en droit international, les obligations qui incombent aux États en ce qui concerne la protection du système climatique ?" et  "Quelles sont les conséquences juridiques pour les États qui, par leurs actions ou omissions, ont causé des dommages significatifs au système climatique ?".

"Les avis de la CIJ ont un effet juridique, politique et moral"

Il ne s’agit donc pas de créer de nouvelles obligations, mais de les préciser à l’égard des différents textes internationaux tels que l’Accord de Paris ou encore la Charte des Nations-Unies. "Cet avis pourrait être utilisé par tous les tribunaux du monde", a déclaré Margaretha Wewerinke-Singh, à la tête de l'équipe juridique qui a accompagné le Vanuatu. "En fournissant des conseils faisant autorité à toutes les nations, la Cour pourrait libérer le pouvoir du droit international pour provoquer le type de changement profond que la crise climatique exige", poursuit la juriste, en rappelant que "la fenêtre permettant d'éviter une catastrophe climatique se referme rapidement."

Interrogé par Novethic, Michel Tabbal, juriste en droits humains au sein de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), confirme l’aspect révolutionnaire d’une telle résolution. "Bien que les avis de la CIJ ne soient pas contraignants, ils ont un effet juridique, politique et moral car la cour a une autorité incontestable, explique-t-il. Sa position pourrait dès lors véritablement renforcer le droit international climatique, et constituer une base juridique de taille dans le cadre des affaires climatiques, au même titre que ces précédents avis consultatifs qui font jurisprudence et qui sont aujourd’hui encore régulièrement cités dans le droit." 

L’avis de la CIJ, attendu d'ici environ deux ans, va en effet permettre de structurer le mouvement pour une justice climatique qui a démarré depuis quelques années et qui s’est illustré aux Pays-Bas avec l’affaire Ungerwald, ou encore en France avec l’Affaire du Siècle, et devrait encourager les gouvernements à accélérer leur action. "Ce n'est pas une solution miracle, mais elle peut apporter une contribution importante au changement climatique, en catalysant une ambition beaucoup plus élevée dans le cadre de l'Accord de Paris", a indiqué le Premier ministre du Vanuatu, Alatoi Ishmael Kalsakau.

Une première brèche ouverte à la COP27

Tous les pays ne sont pas de cet avis. Si aucun n'a objecté lors de l'adoption de la résolution par consensus, les États-Unis et la Chine, les deux plus gros émetteurs mondiaux, n'ont pas co-sponsorisé le texte. Les Etats-Unis, qui se sont toujours battus pour que les responsabilités historiques ne soient pas engagées, ont même clairement indiqué leur désaccord. "Nous sommes très préoccupés par le fait que ce processus puisse compliquer nos efforts collectifs et ne nous rapproche pas des objectifs communs" climatiques, a déclaré le représentant américain Nicholas Hill, soulignant préférer la "diplomatie" à un "processus judiciaire" qui risque "d'accentuer les désaccords".

Mais une première brèche avait déjà été ouverte, lors de la COP27 sur le climat de Glasgow en 2022. Les pays les plus pauvres ont obtenu la création d’un nouveau mécanisme de financement pour les pertes et dommages, c’est-à-dire les dégâts liés au changement climatique qu’ils ne peuvent pas éviter, contre lequel les États-Unis se sont toujours positionnés. Et devinez qui était à la manœuvre ? Le Vanuatu ! Le pays porte également deux autres projets cruciaux dans la bataille climatique : la reconnaissance du crime d’écocide par la Cour pénale internationale - il vient de recevoir le soutien du Parlement européen - et projet le traité de non-prolifération des énergies fossiles, qui vise à arrêter l’expansion du charbon, du pétrole et du gaz, actuellement soutenu par 100 Prix Nobel et l’OMS.

Concepcion Alvarez


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