Publié le 13 février 2023

ENVIRONNEMENT

"La transition écologique est portée par la seule vision des ultra-riches", selon Édouard Morena

Les ultra-riches vont-ils sauver la planète ? C'est ce qu'on pourrait croire tant ces derniers se positionnent en héros du climat. Et pourtant, dans son livre Fin du monde et petits fours, le politologue Édouard Morena démystifie les Bill Gates et Jeff Bezos qui vendent une transition écologique servant leurs propres intérêts. "Ils veulent passer d’un capitalisme fossile à un capitalisme vert", dit-il, au détriment de la justice sociale. Interview.

Edouard MORENA red credit Carole Peyrot
Edouard Morena est maître de conférence en politique européenne et française à l’Institut de l’université de Londres à Paris (ULIP) et l'auteur du livre "Le coût de l'action climatique".
Carole Peyrot

Dans votre livre, vous écrivez que les ultra-riches ont pris conscience de l’urgence climatique car leurs actifs financiers sont en risque. En quoi ?

Edouard Morena - Ces derniers temps, on s’est beaucoup focalisé sur le mode de vie des ultra-riches. Sur les réseaux sociaux, certains internautes ont d’ailleurs décidé de traquer les trajets en jet-privé des grands patrons par exemple. Mais l’empreinte carbone des plus grosses fortunes passe surtout par leurs investissements. Oxfam et Greenpeace ont d’ailleurs publié une étude se focalisant sur les actifs financiers des milliardaires français. Ils ont montré que 63 milliardaires émettaient autant de CO2 que la moitié de la population française.

Mais la crise climatique menace leurs investissements. S’ils ont des actions dans une entreprise pétrolière par exemple, cette dernière va perdre de la valeur en raison du changement climatique et des politiques publiques. D’autres actifs vont être directement confrontés au risque climatique comme des investissements dans des biens immobiliers soumis à la montée des eaux. Et c’est sans parler des politiques publiques ou des risques géopolitiques et sociaux liés à la crise. Les ultra-riches ont donc intérêt à agir sur le climat.

Comment va se traduire leur mobilisation dans la lutte contre le changement climatique ?

Dans l’ouvrage, j’essaye de montrer comment les ultra-riches poussent vers une transition qui permette de réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en garantissant leurs intérêts en orientant le débat et en pesant sur les politiques publiques. C’est l’occasion, pour eux, de créer de nouveaux débouchés. Ils veulent passer d’un capitalisme fossile à un capitalisme vert. C’est au fond un projet politique très centré autour de l’idée que la transition va être portée par les acteurs privés, par les investisseurs… Le point central est l’innovation. À travers cette idée vendeuse, ils vont développer de nouvelles technologies, de nouvelles manières de s’enrichir. Ils se positionnent comme les moteurs de la transition.

En quoi est-ce problématique ?

Toutes les questions de justice sociale sont laissées de côté. Si ce projet peut amener à une réduction des émissions, il est centré sur un certain type d’acteurs. Il va entretenir les intérêts d’une minorité au détriment d’une majorité. Les cleantech par exemple, ont été très portées par la Silicon Valley dans les années 2000. L’idée était qu’elles allaient permettre de résoudre tout un tas de problèmes. Ces projets ont été largement soutenus par l’État fédéral américain par le biais de prêts garantis ou de crédits d’impôts. L’État a donc eu un rôle important dans leur prise en charge. Et si on fait le bilan, on peut s’interroger non seulement sur leur réussite en termes de réduction des émissions de CO2, mais surtout sur leur dimension sociale. Cette dernière n’a pas du tout été prise en compte dans ce projet de transition.

Cette transition pour et par les plus riches freine-t-elle la mobilisation de la majorité de la population ?

Les ultra-riches n’échappent pas au changement climatique, mais ils y sont différemment confrontés par rapport par exemple à un paysan au Bangladesh. À partir du moment où il y a une conscience climatique de classe, cela interroge sur l’intérêt général du projet. Pour l’instant, j’ai plutôt tendance à penser que les ultra-riches portent un projet qui n’a pas nécessairement fait ses preuves et qui ne considère pas la question de la justice sociale. Or, la crise climatique affecte certaines parties de la population de manière beaucoup plus dure que d’autres. C’est un élément central car pour mobiliser le plus grand nombre, la transition doit être juste.

Le mouvement climatique provenant des ONG, des citoyens, prend-il assez en compte les plus précaires ?

Pendant longtemps, la priorité du mouvement climat était la mise à l’agenda de l’enjeu climatique. Globalement, on peut dire qu’il a réussi son coup. Mais maintenant que fait-on ? Quel type de transition bas-carbone veut-on et dans l’intérêt de qui ? L’heure est au choix du type de transition que l’on veut. Cela implique donc de repolitiser le débat climatique. Il y a un consensus scientifique clair mais la question du type de transition souhaitée et souhaitable est encore ouverte. Existe-t-il une alternative au capitalisme vert ? Le débat a déjà commencé. Le fait, par exemple, de voir des représentants de Greenpeace dans le cortège contre la réforme des retraites est un indicateur intéressant d’une prise de conscience du fait qu’une transition bas-carbone ne peut se faire sans justice sociale. Le problème, c’est que les partisans du capitalisme vert poussent un projet hégémonique qu’ils présentent comme la seule solution qui s’ouvre à nous. J’espère que mon livre permettra de montrer pourquoi il est important de recréer des espaces de discussions pour avancer.

Propos recueillis par Marina Fabre Soundron @fabre_marina

*"Fin du monde et petits fours, Les ultra-riches face à la crise climatique, Édouard Morena, éditions La Découverte, 9 février 2023, 168 pages.


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