Publié le 05 août 2022
ENVIRONNEMENT
Epinglés sur les réseaux sociaux, les vols en jets privés de grands patrons provoquent un tollé
En juillet, les avions de cinq grands patrons (Bolloré, JC Decaux, Kering, Bouygues ou LVMH) totalisent 53 vols dont certains faisant moins de 20 minutes, selon un compte Twitter créé pour dénoncer "la gestion climaticide de leur capital". Ces révélations provoquent un tollé sur la toile. Elles sont d’autant plus retentissantes que ces modes de vie sont en contradiction avec les discours officiels de ces entreprises dotées de stratégies RSE ambitieuses.

ValiGreceanu sur Pixabay
Pris la main dans le jet privé ! Des comptes ont été créés sur Twitter ou Instagram pour traquer les trajets en jets privés de grands patrons. Ainsi, le compte Twitter @i_fly_Bernard qui suit les vols des groupes de Bernard Arnault (patron de LVMH et troisième fortune française), Vincent Bolloré, François Pinault (patron de Kering), les deux avions de Martin Bouygues ou celui de JCDecaux dénombre 123 heures de vol pour ces appareils rien que pour le mois de juillet. Au total ces trajets ont émis 520 tonnes de CO2 soit "l'équivalent des émissions d'un Français moyen pendant 52 ans", calcule le compte Twitter crée par un ingénieur dans l’aéronautique qui tient à garder l’anonymat.
"La méthodologie utilisée est simple, indique l'auteur du compte Twitter. Les propriétaires des avions sont identifiés par l’immatriculation des appareils" et les données des vols sont publiques. En revanche, l’identité des personnes à bord des appareils ne peut être connue. Ces péripéties très suivies sur les réseaux sociaux sont directement inspirées du compte Twitter @Elonjet créé par l’Américain Jack Sweeney. "Ce compte a parfaitement le droit de publier la localisation des jets, chaque avion dans le monde doit avoir un transpondeur", indique celui qui a initialement traqué les vols d’Elon Musk puis ceux de Bill Gates et Jeff Bezos.
Un fossé entre les discours et les actes
L'initiative a ensuite fait des petits. Des comptes, sur Instagram suivent les déplacements de stars, politiques, milliardaires, chefs d'entreprises, influenceurs... Mais aussi de grands patrons à l’image de @laviondebernard, toujours en référence au patron de LVMH, qui suit les appareils de Bernard Arnault et de Total Energies. L’objectif est de dénoncer les vols privés particulièrement néfastes pour l’environnement.
Des vols courts ou des trajets qui auraient pu être effectués en train sont visés, comme l’aller-retour Paris-Marseille de l’avion de Bolloré effectué en juillet. "Le même déplacement en TGV aurait pollué 2 500 fois moins", note le compte Twitter @i_fly_Bernard transformé en outil de lutte contre le dérèglement climatique. "Un vol en jet privé est dix fois plus polluant qu’en avion de ligne", calcule de son côté Matteo Mirolo de l’ONG Transport et Environnement.
Le but est également de rendre public le fossé entre les discours officiels et les actes. Ainsi, alors que le patron de Total Energies a récemment signé une tribune pour appeler à faire preuve de sobriété, il s’est rendu début juillet à Marseille en jet depuis Paris, révèle @laviondebernard. Le groupe Kering a quant à lui mis au point un outil novateur (l’EP&L) pour quantifier et comparer les effets de ses activités sur l’environnement mais son patron ne se prive pas de se déplacer en jet privé...
Dénoncer publiquement pour encourager l'action
Cette stratégie de "Name & Shame" avait déjà été utilisée par l’organisation Transport et Environnement. Pour limiter l’usage des vols privés, le réseau d’association qui milite en faveur d’un système de mobilité décarboné a dressé un classement sur les efforts (ou plutôt l’absence d’efforts) de 230 grandes entreprises américaines et européennes. Or seul 3% des entreprises analysées affichent des objectifs ambitieux en matière de voyage d'affaires.
Un moindre recours aux jets privés est pourtant "la seule manière efficace de réduire à court terme les émissions liées à l’aviation, dont les effets sur le climat sont les plus importants", précise T&E. Le classement vise à encourager les sociétés à "s’engager publiquement à une réduction des vols d’au moins 50 % par rapport à 2019 d’ici 2025".
Ces révélations ne sont pas sans conséquences. Après la publication des déplacements du jet privé de Bernard Arnaud en mai dernier, l’appareil était resté cloué au sol. "Il a effectué un seul vol en juillet (contre une dizaine par mois avant le buzz). Les jets de location doivent être plus confortables", avance ironiquement le compte Twitter @i_fly_Bernard. Peut-être aussi que le patron a revu certaines habitudes, alors que les vagues de chaleur exceptionnelles s’abattent sur le pays…
Mathilde Golla @Mathgolla