Publié le 16 octobre 2022
ENVIRONNEMENT
La Mar Menor, une lagune espagnole, obtient le statut de personnalité juridique, une première en Europe
Autrefois paradis lagunaire du sud-est de l'Espagne, la Mar Menor est en train de mourir lentement de la pollution agricole et de l'urbanisation effrénée. Afin de protéger cet écosystème, le Parlement espagnol a accédé à une initiative populaire et a voté en faveur d'une personnalité juridique accordée à la lagune. Une première en Europe, qui permet de placer les droits de la nature à égalité avec les droits de l'Homme.

JOSE MIGUEL FERNANDEZ / AFP
Pour la première fois en Europe, un écosystème naturel obtient le statut de personnalité juridique. Le Parlement espagnol vient de l’accorder à la Mar Menor, une lagune située dans le sud-est du pays, afin qu’elle puisse être représentée devant une juridiction au même titre qu’une personne ou une entreprise et ainsi défendre ses droits. Le jour du vote, le quotidien local La Verdad a salué un "jour historique" tandis que le quotidien national El Pais évoque "un scrutin inimaginable il y a encore deux ans", quand tout a commencé, et une "innovation juridique".
"Cette loi va permettre d’agir directement au nom de Mar Menor par des gardiens désignés. Cela permet de rééquilibrer les forces devant les juges qui vont mettre en balance des intérêts humains mais aussi non humains", commente auprès de Novethic Marine Yzquierdo, avocate au barreau de Paris et membre du conseil d’administration de Notre affaire à tous, spécialiste du droit de l’énergie et de l’environnement. "C’est un moyen complémentaire de protéger la nature alors qu’aujourd’hui, les associations de protection de l’environnement font face à des contraintes procédurales pour agir", ajoute-t-elle.
"La Mar Menor à l'avant-garde de la protection de la nature en Europe"
Située près de Murcie, une région côtière très fortement urbanisée et connue pour ses serres agricoles, la lagune Mar Menor, d’une superficie de 170 km², est séparée de la mer Méditerranée par une étroite barrière de sable. Depuis une dizaine d’années, elle fait régulièrement la Une des journaux ibériques en raison de pollutions diverses. En 2016, la lagune entière avait verdi sous l’effet de la prolifération de micro-algues, provoquant la perte de près de 80% de la végétation sous-marine. En 2019, puis en 2021, ce sont des tonnes de poissons qui ont été retrouvés morts en raison de l’eutrophisation (manque d’oxygène) de l’eau.
Désignée, entre autres, zone humide RAMSAR, Zone d'Importance Spécialement Protégée pour la Méditerranée (Convention de Barcelone), Zone de Protection Spéciale pour les Oiseaux (ZEPA), Site d'Importance pour la Conservation appartenant au Réseau Natura 2000, la Mar Menor reste en voie de disparition, subissant une grave détérioration. C’est ce qui a poussé Teresa Vicente Giménez, professeure de philosophie du droit et directrice de la chaire des droits humains et des droits de la nature à l’université de Murcie, à lancer en 2020 une initiative législative populaire. Signée par plus de 640 000 personnes, elle a franchi le seuil suffisant pour être débattue au Parlement.
"Ce fut un chemin long et difficile, qui a bénéficié d'une participation citoyenne extraordinaire, née de la grave préoccupation suscitée par la détérioration de la Mar Menor en tant que conséquence de l'activité humaine, l'inefficacité des lois existantes pour leur protection et l'autonomisation de la société civile. Cette loi transcende les frontières de Murcie et place l'Espagne et la Mar Menor à l'avant-garde de la protection de la nature en Europe. Un temps d'espoir commence pour la Mar Menor", s’est réjouie dans un communiqué la plateforme Pour un pacte pour la Mar Menor.
"En France, le projet le plus abouti est la déclaration des droits du fleuve Tavignanu en Corse"
Au niveau mondial, d’autres écosystèmes emblématiques ont obtenu une personnalité juridique comme le parc national Te Urewera en Nouvelle-Zélande ou le fleuve Yarra en Australie. En Inde, le Gange et son affluent, la Yamuna, ont eux aussi été officiellement dotés de leur propre personnalité juridique. L'Équateur est quant à lui le premier pays à avoir inscrit les droits de la nature dans sa Constitution en 2008. Dans un recueil publié en mars 2022*, l’ONG Notre affaire à tous en a étudié une soixantaine dans 21 pays. "En France, il y a quelques initiatives plus ou moins avancées, au niveau local", explique Marine Yzquierdo.
"Le projet pionnier a été le Parlement de la Loire. Il y a aussi eu l’appel du Rhône. Le plus abouti est la déclaration des droits du fleuve Tavignanu en Corse, qui a été soutenue par une motion adoptée par Bastia et la collectivité de Corse. Notre objectif est désormais d’annexer cette déclaration aux plans d’urbanisme ou aux schémas d'aménagement et de gestion de l'eau afin qu’ils soient opposables", détaille l’avocate. "Nous pensons que le changement se fera au niveau local", lance-t-elle.
Concepcion Alvarez @conce1
* Les droits de la Nature - Vers un nouveau paradigme de protection du vivant, Notre affaire à tous, Le Pommier, mars 2022.