Publié le 13 décembre 2022

ENVIRONNEMENT

L’attaque d’un site Lafarge révèle l’escalade de l’activisme climatique

Face à l’urgence, l’activisme climatique prend de l’ampleur, avec toutefois une scission sur les modes d’action. Alors que les militants de Dernière rénovation bloquaient encore le week-end dernier le périphérique parisien de façon pacifique, des dizaines d’activistes envahissaient l’usine de Lafarge près de Marseille, s’attaquant aux caméras de vidéo-surveillance, aux engins et aux vitrines de bureau. Des actions qui dépassent l’activisme d’interpellation, qui prévalait jusqu’alors, et qui interrogent sur l’escalade à venir, au risque de desservir la cause.

Lafarge les soulevements de la terre
Plusieurs dizaines de militants ont mené des actions de sabotage sur le site Lafarge de la Malle à Bouc-Bel-Air, près de Marseille (Bouches-du-Rhône), samedi 10 décembre.
@Les soulèvements de la Terre

Les images sont impressionnantes. Des dizaines d’activistes, revêtus d’une combinaison blanche à capuche, dévalent un sentier qui mène à l’usine Lafarge de la Malle à Bouc-Bel-Air, près de Marseille (Bouches-du-Rhône). Samedi 10 décembre, en début de soirée, environ 200 personnes, selon un communiqué de presse, ont mené plusieurs actions de sabotage sur ce site. Câbles sectionnés, sacs de ciments éventrés, véhicules et engins de chantiers endommagés, vitrines de bureaux abîmées, murs repeints de tags, caméras de vidéosurveillance détruites à coup de marteau...

"De très importants dégâts ont été commis sur les installations, les bâtiments et les véhicules. Ils témoignent d’une violence inédite. L’ensemble des salariés est aujourd’hui choqué par la violence de cet acte de vandalisme qui porte atteinte à leur outil de travail et à la sécurité des opérations", a réagi l’entreprise dans un communiqué, dès le lendemain. Elle indique également avoir porté plainte. Le parquet d’Aix-en-Provence a dit s’être saisi de ce dossier dès samedi soir et avoir ouvert une enquête en flagrance, confiée à la gendarmerie.

Les émissions du secteur pointées du doigt

"Lafarge et ses complices n’entendent rien à la colère des générations qu’ils laissent sans avenir dans un monde ravagé par leurs méfaits. Leurs engins, silos et malaxeuses sont des armes qui nous tuent. Ils ne cesseront pas sans qu’on ne les y force. Nous allons donc continuer à démanteler ces infrastructures du désastre nous-même. Nous appelons toutes celles et ceux qui se soulèvent pour la terre à occuper, bloquer et désarmer le béton", écrivent les activistes dans un communiqué transmis à la presse.

Aucun groupe n’a revendiqué cette action. Par téléphone, une personne se décrivant comme "un des activistes présents sur place" a dit à l’AFP que l’action avait été menée par "des personnes qui se sont organisées et viennent d’un peu partout". Plusieurs sites du cimentier avaient déjà été visés auparavant en France et en Suisse. En juin 2021 notamment, des actions d’occupation avaient été menées sur trois sites Lafarge-Holcim sur le port de Gennevilliers, en région parisienne. Là aussi, des câbles avaient été sectionnées, des machines bétonnées, des engins ensablés, et le terminal cimentier ainsi que l’entrée d’un des sites avaient été bloqués.

Les militants pointent les émissions du secteur du BTP, responsable de 39% des émissions de CO2 au niveau mondial, et dénoncent le greenwashing de l’entreprise. "Sur les 50 sites les plus polluants de France, 20 sont des cimenteries dont cette usine qui produit plus de 444 464 tonnes de CO2 par an et alimente ses fours de milliers de vieux pneus et toutes sortes de déchets toxiques", écrivent les auteurs de l’action contre le site de la Malle. Pourtant, cette usine est justement "l’une des plus avancées dans la production des ciments bas carbone", rétorque le groupe, engagé depuis 25 ans dans la valorisation énergétique de pneus.

Le retour des actions directes

Elle produit chaque année près de 600 000 tonnes de "ciment bas carbone" et alimente la filière locale du BTP en permettant la réalisation d’infrastructures majeures, telles que le MuCEM ou encore l’Arena d’Aix-en-Provence. Environ 10 millions d’euros y ont été investis au cours des deux dernières années pour l’amélioration de son empreinte environnementale. Un nouveau dispositif de filtration a été mis en place afin de réduire les émissions de poussières et les rejets de dioxyde de soufre (S02) et l’usine est passée à la biomasse pour réduire la consommation d’énergies fossiles dans la fabrication de ses ciments. "Au-delà de notre usine, c’est la démarche de progrès de toute l'industrie qui est fragilisée par ces actions", commente François Petry, directeur général de Lafarge.

Les activistes rappellent également la mise en cause de Lafarge dans le financement de l'État Islamique en Syrie. Le groupe, qui a plaidé coupable et accepté de payer 778 millions de dollars aux États-Unis, est toujours mis en examen en France pour complicité de crimes de guerre contre l’humanité. Ils promettent d’autres actions de ce type. Alors que l’activisme d'interpellation, qui prévalait jusqu’alors, est déjà fortement critiqué et réprimandé, certains n’hésitant pas à parler d’écoterrorisme, cette escalade ne va-t-elle finalement pas desservir la cause ? "Face à l’urgence climatique, nous n’avons plus le temps d’attendre et donc certains se voient obligés d’agir par eux-mêmes. Ces actions directes, inspirées de la tradition anarchiste, visent à protéger directement ce qui doit l’être", analysait sur Novethic Manuel Cervera-Marzal, sociologue spécialiste des mouvements sociaux.

Concepcion Alvarez @conce1


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