Publié le 24 août 2017
ENVIRONNEMENT
Climat : Exxon évoquait un scénario 2 °C… dès 1994 !
Aux États-Unis, plusieurs procureurs ont ouvert une enquête pour savoir si Exxon a menti sur ses connaissances à propos du changement climatique. Une pièce lourde pour le pétrolier va être versée au dossier. Selon deux chercheurs d’Harvard, plus de 80 % des documents internes de l’entreprise de ces 40 dernières années attribuent à l’Homme le réchauffement de la planète. Pire, dès 1994, le pétrolier parlait déjà d’un scénario 2°C pour protéger les écosystèmes.

Aux États-Unis, 17 procureurs et le gendarme boursier enquêtent pour savoir si le premier pétrolier privé mondial, Exxon, a menti aux actionnaires, aux clients et à la population en général sur ses connaissances en matière de réchauffement climatique. Dans ce cadre, une étude de deux chercheurs d’Harvard, spécialistes de l’histoire des sciences, Geoffey Supran et Naomi Oreskes, risque de faire date. Leur travail, publié dans Environmental Research Letters, analyse 187 documents émis par le pétrolier : des notes internes, des études scientifiques avec ou sans comité de lecture et des tribunes dans le New York Times.
Les chercheurs y ont noté quels messages étaient portés sur la réalité du changement climatique et sur le rôle de l’Homme. "Dans les quatre cas, nous trouvons que, plus les documents deviennent accessibles au public, plus ils mettent en doute (le lien entre le réchauffement et l’activité humaine). L'écart est plus prononcé entre les publicités et tous les autres documents", peut-on lire dans l’étude.
Relation entre réchauffement climatique et activité humaine selon le type de publications d'Exxon (Internal=note interne, Peer-Reviewed=revue scientifique avec comité de lecture, Non-Peer-Reviewed=revue scientifique, Advertorials=publicités / vert=lien entre réchauffement et Homme ; rouge = doute sur ce lien)
Concrètement, les deux universitaires d’Harvard calculent que 83% des publications scientifiques avec comité de lecture et 80% des documents internes établissent un lien entre le changement climatique et l’Homme. En revanche, 81% des tribunes parues dans le New York Times expriment un doute sur cette causalité. "En ce qui concerne la question de savoir si Exxon Mobil a induit en erreur le public non scientifique sur les sciences du climat, notre analyse répond oui", tranchent les chercheurs.
Mais pire, Exxon semble avoir pris conscience de concepts climatiques majeurs des années avant que la communauté internationale ne s’en empare. Dans une note interne de 1982, un chercheur écrit qu’il n’existe pas de preuve scientifique sans ambiguïté que la Terre se réchauffe (mais) que "le réchauffement était déjà en cours et assez important pour être détecté", rapportent les auteurs. Dans un document de 1985, cosigné avec le département américain de l’Énergie, l’étude de plusieurs scénarios d’émissions de CO2 évoque un réchauffement de 2°C d’ici la moitié du XXIe siècle.
Trois ans avant le protocole de Kyoto
Autre exemple, dans une publication scientifique de 1994, des chercheurs d’Exxon évoquent "qu’un réchauffement climatique moyen de 2°C en 2100, par rapport à l’époque préindustrielle, est une valeur de référence pour la protection du climat et de l'écosystème". Soit "deux ans avant que l’Union européenne n’adopte cette limite", constatent les deux auteurs. C’est aussi trois ans avant la signature du protocole de Kyoto en 1997 et 21 ans avant celle de l’Accord de Paris. À cette époque, Exxon chiffrait déjà des budgets carbone (quantité maximum de carbone à émettre) pour respecter l’objectif 2°C.
Si les deux auteurs se défendent de vouloir intervenir dans les procédures judiciaires en cours, nul doute que leur étude va devenir une référence pour les enquêteurs. Par ailleurs, cette communication à deux vitesses, l’une envers la communauté scientifique, l’autre envers les investisseurs, n’est pas sans faire écho à la rébellion des actionnaires qu’a connue la direction d’Exxon. Lors de l’Assemblée générale de 2017, une résolution inédite a été votée. Elle impose à l’entreprise de proposer désormais des stratégies compatibles avec le maintien du réchauffement climatique en dessous de 2°C, comme prévu par l'Accord de Paris.
Ludovic Dupin, @ludovicDupin