Publié le 19 janvier 2016
ENVIRONNEMENT
Loi sur la biodiversité : les principaux enjeux du texte débattu au Sénat
Après un parcours chaotique de trois ans, le projet de loi sur la biodiversité est enfin examiné par le Sénat jusqu'au 26 janvier. Cette loi doit assurer une meilleure prise en compte de la biodiversité, 40 ans après la loi de protection de la nature. Retour sur les différents points importants du texte, avec des avancées, comme le régime d’accès aux ressources génétiques, et des abandons, comme l'interdiction des pesticides néonicotinoïdes.

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Il aura fallu près d’un an pour que le texte soit de nouveau débattu au Parlement ! Après avoir été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale en mars 2015, le projet de loi relatif à la biodiversité passe enfin devant le Sénat à partir de ce mardi 19 janvier, et jusqu’au 26 janvier. Une loi très attendue, car la dernière grande loi sur le sujet, celle sur la protection de la nature, date de 1976.
Le texte a été présentée par le prédécesseur de Ségolène Royal, Philippe Martin, en 2013. Il aura donc fallu près de trois ans au gouvernement pour faire avancer ce chantier. Pourtant, la France est loin d’être bonne élève en la matière... Beaucoup de retard a notamment été pris au regard des engagements internationaux. Que contient donc ce projet ? Quelles en sont les principales implications pour les entreprises ?
Partager les avantages tirés de la biodiversité
L'une des principales avancées du texte concerne la création de l’Agence française de la biodiversité (AFB). Un équivalent de l’Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), dédié à la mise en œuvre des politiques de la biodiversité sur le territoire. L'enjeu est de taille puisque plus de 80 % des milieux naturels d’intérêt communautaire français sont dégradés.
Si la création de l'Agence est largement saluée, pour de nombreuses organisations écologistes, le compte n’y est pas. L'AFB regroupe en effet quatre organismes existants : l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques-ONEMA, l’Agence des aires marines protégées, les Parcs nationaux de France et l’Atelier technique des espaces naturels. Mais aux yeux de WWF, la Fondation Nicolas Hulot (FNH), la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), Humanité et Biodiversité et France Nature Environnement (FNE), réunis en conférence de presse, l'AFB "laisse hors de son périmètre le plus gros opérateur ayant de l'expertise sur les milieux terrestres : l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Il est indispensable de l'intégrer pour ne pas avoir une agence 'unijambiste'".
Autre inquiétude : les moyens humains et financiers déployés pour faire fonctionner cette agence. Les associations ont calculé qu'il faudrait 250 millions d'euros de crédits d’intervention par an et autant pour assurer le fonctionnement de l’établissement public. D'où proviendront ces nouvelles ressources ? Pour l'instant, la réponse viendra du projet de loi de finances 2017, ce que contestent les associations, qui veulent que ce soit inscrit dans le texte.
Un nouvel outil est également mis en place : le régime d’accès aux ressources génétiques. Il correspond à la transposition française du protocole de Nagoya, signé par la France en 2011. L’enjeu est de contrôler l’accès à la biodiversité exceptionnelle des territoires d’outre-mer et du domaine maritime français. Si le texte encadre le partage des avantages tirés de l’exploitation des ressources génétiques, il reste encore flou sur le montant que les entreprises devront payer. Le texte parle seulement de "moins de 5 %" du chiffre d’affaires lié à la commercialisation des produits tirés de la bioprospection.
Une nouveauté : le préjudice écologique
Le projet de loi présenté au Sénat comporte également une nouveauté par rapport à la version adoptée il y a un an par l’Assemblée : l’inscription du préjudice écologique. Le projet de loi relatif à la responsabilité civile environnementale rédigé par le ministère de la Justice ne sera finalement pas défendu par le gouvernement et a donc été abandonné. Seulement cette version pose encore de nombreuses questions. "Le texte prévoit de traiter du préjudice écologique en inscrivant une notion peu précise de 'dommage à l'environnement' dans le code civil", souligne le juriste Arnaud Gossement. Les associations environnementales attendent également des précisions sur la portée juridique de cette inscription.
Concernant les obligations de compensation écologique pour les projets d'aménagement, le texte introduit le recours possible à des banques de compensation. Ainsi, un aménageur pourra compenser lui-même les dégradations qu'il inflige, recourir à un opérateur spécialisé ou acquérir des unités de compensation auprès d'une banque ad hoc. Christian Hosi, de l'association FNE, reste mitigé sur cette compensation par l’offre et attend les décrets d'application, pour déterminer comment l’efficacité écologique du dispositif sera garantie. Le principe "éviter-réduire-compenser" acté par la loi biodiversité divise les écologistes, certains y voyant un permis de détruire.
Deux amendements contre la privatisation du vivant
Parmi les abandons du texte, l’interdiction de l’utilisation des pesticides néonicotinoïdes proposée par les parlementaires a été supprimée. Sur ce dossier, le gouvernement français ne veut pas aller plus vite que l’Union européenne. Or, la Commission européenne a autorisé deux nouveaux néonicotinoïdes en 2015. Ce recul intervient alors que l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) vient de rendre un avis qui confirme "les sévères effets négatifs" de ces produits sur les espèces pollinisatrices, sans pour autant demander leur interdiction.
Enfin, plusieurs organisations environnementales et paysannes et certains représentants de la recherche agronomique portent deux amendements autour des biotechnologies et contre la privatisation du vivant (voir la pétition du collectif Semons la biodiversité). Un amendement propose d'interdire tous les brevets sur les gènes présents naturellement dans les organismes vivants (plantes ou animaux). L'autre propose que les organismes vivants modifiés par mutation grâce aux nouvelles techniques de sélection (autres que la transgenèse, qui définit les OGM) soient soumis à la même réglementation que les OGM.
Mais le projet de loi est encore susceptible d'être largement modifié avec plus de 500 amendements déposés. Il devra ensuite repasser devant les deux assemblées et être voté dans les mêmes termes. Le président de la République, lors d'une rencontre avec les ONG environnementales, a annoncé que le projet de loi serait définitivement adopté avant l’été prochain.