Publié le 12 juillet 2023

ENVIRONNEMENT

Déforestation : au Brésil, la savane du Cerrado disparaît deux fois plus vite que l’Amazonie

Nos assiettes contiennent encore du soja issu de la déforestation. Si celle-ci baisse en Amazonie, elle augmente fortement dans le Cerrado, une savane brésilienne qui disparaît deux fois plus vite que l'Amazonie. Une enquête de l'organisation Mighty Earth met en cause le trader Bunge, qui fournit de nombreuses enseignes françaises parmi lesquelles LDC (Loué, Le Gaulois...), Carrefour ou encore Système U. 

Cerrado Pixabay
La savane du Cerrado a perdu 21% de sa surface au premier semestre 2023, un niveau jamais atteint ces cinq dernières années.
@Pixabay

Si l’on peut se réjouir de la baisse de la déforestation en Amazonie, -34% depuis le début de l’année, un autre écosystème tout proche est, lui, en train de disparaître dans la quasi-indifférence générale. Il s’agit de la savane du Cerrado, qui couvre un quart du Brésil et qui a encore perdu 21% de sa surface au premier semestre 2023, un niveau jamais atteint ces cinq dernières années. La savane disparaît deux fois plus vite que l’Amazonie, qui fait régulièrement la Une des journaux. On estime ainsi que près de la moitié du Cerrado a déjà été déboisée et convertie en cultures ou en pâturages.

Connu sous le nom de "forêt à l’envers" en raison de son immense système racinaire et abritant 5% de la biodiversité mondiale, le Cerrado est devenu le nouveau front d’expansion agricole du Brésil. Il représente plus de 50% de la surface plantée en soja du pays, une culture notamment destinée à nourrir les animaux d’élevage en Europe. Selon une nouvelle enquête publiée par Mighty Earth, ce soja issu de la déforestation se retrouve dans nos assiettes de ce côté-ci de l’Atlantique, à travers la viande et les produits laitiers que nous consommons.

Bunge, le fournisseur le plus à risque

Au cœur de ce système, un négociant de matières premières, Bunge, continue de se fournir en soja issu de la déforestation pour approvisionner les filières agricoles européennes. C’est de fait le plus grand fournisseur de soja pour l’alimentation animale en Europe, et plus particulièrement en France. Selon les révélations de Mighty Earth, Bunge est directement lié à la déforestation récente de l’équivalent de 15 897 terrains de football dans le Cerrado. Interpellé par l'ONG, le trader confirme s’être récemment approvisionné en soja auprès de quatre des huit exploitations du Cerrado citées dans l'enquête. 

En France, des enseignes comme Carrefour, Casino, Les Mousquetaires ou encore le numéro un de la volaille LDC (Loué, Le Gaulois...) sont pointées du doigt pour leur approvisionnement auprès de Bunge. "La moitié de l’approvisionnement français en soja provient du Cerrado, détaille à Novethic Boris Patentreger, directeur France de Mighty Earth. Or ce n’est pas conforme au Manifeste pour le soja durable signé par toutes ces enseignes. Le gouvernement français pointe aussi depuis plusieurs années Bunge comme étant le fournisseur le plus à risque. Mais malgré cela, les entreprises continuent de fermer les yeux", poursuit Boris Patentreger. 

Des engagements pour un soja "zéro déforestation" 

Seul Cooperl, le principal producteur français de porc, a annoncé à Mighty Earth avoir cessé de s’approvisionner en soja auprès du négociant. Pour les autres, le chemin est encore long. Contacté par Novethic, Carrefour reconnaît que Bunge "fournit des producteurs d’aliments pour animaux, qui fournissent des éleveurs, qui eux-mêmes fournissent [leurs] fournisseurs de produits". L'enseigne rappelle son ambition d’atteindre 100% des Filières Qualité Carrefour et des produits Carrefour significatifs sans soja issu de la déforestation pour l’alimentation animale avant 2025.

De son côté, Système U confirme que "Bunge du fait de sa situation quasi monopolistique est de fait connecté à l’ensemble des acteurs de la nutrition animale". Système U assure qu’il diffusera le rapport auprès de ses fabricants d’aliments pour animaux pour les alerter et les inciter à privilégier les traders les plus vertueux. Il précise également qu’"à date, les filières bœuf, lapin et le lait de U n’utilisent plus de soja et que la filière poulet n’utilisera plus de soja d’importation en 2024; pour la filière dinde, l’échéance sera en 2026".

Également contacté par Novethic, le groupe LDC, qui est considéré comme le plus gros utilisateur de soja en France, assure avoir pris un engagement zéro déforestation et conversion d’ici 2025, sans plus de précisions. 

Appel d’air

À cette date, les entreprises devront en outre se conformer au règlement sur l'interdiction de la déforestation importée dans l’Union européenne. Elles ne pourront plus importer de soja issu de terres qui auraient été déboisées après 2020 et devront le prouver, certificat à l’appui. Le problème, c’est que le Cerrado n’a pas été inclus dans les écosystèmes protégés. Les règles pourraient toutefois se durcir puisque la Commission européenne a prévu un réexamen de la directive déforestation importée en juin 2024 qui pourrait étendre le champ d’application du règlement à d’autres surfaces boisées comme le Cerrado. 

"En attendant, on a le sentiment que les entreprises entendent profiter tant que possible de cet énorme trou dans la raquette. Cela a créé un appel d’air avec un transfert de la déforestation de l’Amazonie vers le Cerrado. Nos interlocuteurs au Brésil vivent vraiment cette loi comme un passe-droit pour déforester le Cerrado", regrette Boris Patentreger, le directeur de Mighty Earth. 

Concepcion Alvarez


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