Publié le 24 juin 2014
ÉNERGIE
Ecotaxe poids lourds : le principe du pollueur-payeur mis à mal
Après des mois de contestation et de négociations, le Premier ministre a tranché. L’écotaxe poids lourds ne verra pas le jour. Elle est remplacée par un "péage de transit" qui fait fi du travail de la mission parlementaire qui recommandait pourtant la mise en place d'une écoredevance.

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L’écotaxe est morte et enterrée. La ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, l’a confirmé lundi 23 juin sur France Inter. La veille, le quotidien régional Ouest France avait dévoilé l’arbitrage du Premier ministre dans ses colonnes avant la présentation du projet de loi de finances rectificative. Mais l’arbitrage ne convainc ni les contestataires ni les partisans de la taxe.
Il brouille surtout le message initial de la taxe, basée sur le principe du pollueur-payeur et de l’utilisateur-payeur.
Le nouveau dispositif ne fait d’ailleurs plus aucune référence à l’écologie. Il n’est plus question "d’écotaxe poids lourds", mais de "péage de transit poids lourds". Un glissement sémantique loin d’être anecdotique. Car il suggère un changement d’objectif de la taxe, passant d’une volonté d’intégration des dommages environnementaux liés notamment à la pollution routière à un ciblage des trajets longues distances, particulièrement sur les véhicules étrangers qui échappaient à toute contribution financière lorsqu’ils n’utilisaient pas les autoroutes.
Quant au dispositif lui-même, il réduit "les ambitions à peau de chagrin", déplore Jean-Baptiste Poncelet, chargé de mission Transports et Mobilité Durables à France Nature Environnement (FNE). De fait, le gouvernement a considérablement réduit la portion du réseau routier taxé : les 15 000 km initialement prévus se sont transformés en 4 000. Soit 0,4 % du réseau routier et 7 % du trajet effectué par un poids lourds, selon les calculs d’Agir pour l’environnement (à partir du rapport de la mission parlementaire). Seuls les grands axes, qui enregistrent un trafic supérieur à 2 500 poids lourds par jour, sont concernés. Et plusieurs secteurs sont exonérés, comme l’agriculture et l’industrie du lait.
Moins de moyens pour financer la transition énergétique
A raison de 13 centimes d’euro par kilomètre, le manque à gagner est significatif.
Le produit de la taxe passe de 1,1 milliard à 500 millions d’euros. Ce qui devrait se transformer en quelque 350 millions dans les caisses de l’AFITF, l’Agence de financement des infrastructures de transports de France, une fois le coût du dispositif déduit. "Avec ce montant-là, il ne s’agit clairement plus d’un outil destiné à financer la transition énergétique, soupire Jean-Baptiste Poncelet. Alors que la ministre vient de présenter son projet de loi, le gouvernement se prive de moyens financiers pour engager la transition vers des transports plus durables et assurer la maintenance du réseau routier de plus en plus délabré."
Pour pouvoir calculer le montant de la taxe, les camions de plus de 3,5 tonnes seront équipés d’un GPS qui calculera le nombre de kilomètres parcourus. Pour honorer son contrat avec Ecomouv’, le consortium franco-italien restera bien chargé de la collecte de la taxe. Mais pour assurer un contrôle des opérations, l’Etat pourrait prendre une part plus importante du capital de la société. Quant à la mise à contribution des sociétés d’autoroutes, elle reste sur la table. Mais sa mise en place est loin d’être acquise. Ne serait-ce que pour des raisons techniques et juridiques, font remarquer les experts.
Un mauvais signal
Pour les organisations non gouvernementales (ONG), ce recul est également à rapprocher d’un autre "mauvais signal" sur la fiscalité écologique. Début juin, plusieurs d’entre elles comme le Réseau Action Climat (RAC), la Fondation Nicolas-Hulot ou le World Wide Fund (WWF) dénonçaient la mise en sommeil des travaux du Comité pour la fiscalité environnementale, chargé de plancher sur le verdissement de la fiscalité française (hors écotaxe poids lourds). Celui-ci ne s’est pas réuni depuis avril. La prochaine session plénière est prévue pour le 10 juillet.
Les contestataires se tournent désormais vers les parlementaires. Ceux-ci devront en effet se prononcer sur le péage de transit lors de l’examen de la loi de finances rectificative, dont le vote est prévu en juillet.