Publié le 19 juin 2023
Décarboner tout en misant sur une forte croissance. C'est le pari risqué, voire impossible, qu'a choisi le secteur de l'aviation. Alors que le Salon du Bourget ouvre ses portes ce 19 juin sous les meilleurs auspices avec une explosion du carnet de commandes, l'avion vert apparaît comme un mirage. 
C’est le "rendez-vous des professionnels du ciel". Le Salon international de l’aéronautique et de l’espace (SIAE) revient en trombe cette année après la dernière édition de 2021, annulée en raison de la pandémie. Au programme : 2 500 exposants et près de 320 000 personnes attendues du 19 au 25 jours à l’aéroport du Bourget. Pour les professionnels, c’est le Salon de la reprise. Il faut dire qu’avec un trafic qui a retrouvé son niveau d’avant-crise, le ciel s’annonce particulièrement clément pour le secteur. Les prévisions sont au beau fixe.   


Selon Boeing, la flotte d’avions commerciaux devrait ainsi doubler dans les 20 prochaines années. 48 575 appareils seront en service en 2042, contre 24 500 l’année dernière. L’Amérique du Nord absorbera 23% de ces nouveaux avions, l’Asie-Pacifique 22%, l’Eurasie 21% et la Chine à elle seule 20%. Ces projections, publiées à la veille de l’ouverture du salon aéronautique du Bourget, s’inscrivent dans la lignée de celles de Boeing l’année dernière, quand la firme avait évoqué une flotte mondiale de 47 080 appareils en 2041. 


Côté Airbus, les projections sont aussi fortes avec 40 850 avions passagers et cargo neufs d’ici à 2042, portant la flotte mondiale à 46 560 appareils, contre 22 880 début 2020. Et l’actualité ne pouvait pas mieux alimenter ces projections. Ce 19 juin, la compagnie indienne IndiGo vient ainsi de passer une commande record à Airbus avec 500 appareils de la famille A320. Une commande qui vient s’ajouter aux 470 avions commandés par Air India en début d’année.

"Le premier avion ultrasobre"


Avec ce démarrage en fanfare, le secteur, représenté par l’Association internationale du transport aérien, aurait-il oublié ses promesses d’émissions nulles de CO2 d’ici 2050, conformément à l’Accord de Paris ? Non, car malgré ces annonces d’ultracroissance, le secteur mise sur la décarbonation. Un numéro d’équilibriste, difficile à tenir et qui peine à convaincre les ONG, mais qui reste le cap choisi par le secteur qui représente aujourd’hui 3% des émissions mondiales de CO2. C’est Emmanuel Macron lui-même, la veille de l’inauguration qui a voulu donner le ton du verdissement de l’aviation.


Le Président a ainsi mis sur la table 8,5 milliards d’euros d’ici à 2027 pour "préparer les ruptures technologiques du secteur de l’aviation et développer le premier avion ultrasobre". Le chef de l’État fixe deux objectifs : développer un appareil zéro émission et créer une filière française de biocarburants. Au total, Emmanuel Macon attend, à l’horizon 2030 la fourniture de "75 000 tonnes de kérosène durables" soit 15% de la production de carburant total. "Décarbonation" a été le mot d’ordre de l’ensemble du gouvernement interrogé sur l’aviation.


"On ne peut pas y arriver si on conserve le transport aérien"


Reste que du côté des militants du climat, la pilule verte a dû mal à passer. "L’avion vert n’existe pas et n’existera jamais", tweete ainsi Clément Sénéchal, ancien porte-parole de Greenpeace. "Au mieux, il sera moins gris", résume de son côté l’avocat spécialisé Sébastien Mabile. Il faut dire que sans réduction du trafic aérien, il semble difficile pour le secteur d’atteindre ses objectifs climatiques. Une étude publiée en juillet 2020 par le cabinet B&L Évolution montrait que même avec des leviers techniques poussés, il est nécessaire de diminuer le nombre de passagers entre 2,5% et 4% par an pour atteindre la neutralité carbone. "En d’autres termes, il faudrait réduire de moitié le nombre de passagers annuels d’ici 20 ans maximum", concluait-il.
Or la révolution culturelle nécessaire à cette baisse de trafic n’a pas encore eu lieu. Selon une enquête Ifop réalisée pour le compte du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) sept Français sur dix pensent que le secteur va réussir à se verdir et à protéger davantage l’environnement. À l’heure de la préparation des vacances d’été, l’avion tire ainsi son épingle du jeu en pleine crise climatique.
"Le fait qu’il y ait encore ce genre de débats montre bien que l’on n’a pas réalisé ce que veut dire diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre", prévenait dès juillet 2019 devant l’Assemblée nationale l’auteur du cinquième rapport du Giec François-Marie Bréon. "Il est évident que dans une France qui aura divisé ses émissions de gaz à effet de serre par quatre, il n’y aura plus d’avion – on ne peut pas y arriver si on conserve le transport aérien". 

Marina Fabre Soundron avec AFP


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