Publié le 18 juin 2023
ÉNERGIE
"Le véhicule électrique ne résout pas tous les problèmes de la transition de l'automobile", selon Aurélien Bigo
Du véhicule électrique plus émetteurs que le thermique, à l’injonction de remplacer tout le parc automobile par des véhicules bas carbone, les idées reçues circulent sur la transition vers une mobilité durable. Aurélien Bigo, chercheur associé à la chaire Énergie et prospérité de la fondation du risque, a écrit le livre "Fake or not : voitures" (Tana éditions) avec la journaliste Isabelle Brokman, pour tenter d’y mettre fin. Interview.

@CCO
Est-ce qu'on peut dire que dans votre livre*, vous défendez le passage à la voiture électrique ?
Je défends le côté électrique plus que la voiture ! L’électrification est indispensable pour atteindre nos objectifs climatiques, car les alternatives ne sont pas à la hauteur. L’hydrogène est beaucoup plus coûteux, moins efficace du point de vue énergétique et il est produit aujourd’hui largement à partir d’énergies fossiles. Pour d’autres modes de transport, il fera peut-être partie de la solution. Quant aux carburants de synthèse, il faut en fait quatre à cinq fois plus d’électricité pour faire rouler un véhicule par rapport à un véhicule électrique, car il faut produire de l’hydrogène bas carbone et le combiner avec du CO2 capté dans l’atmosphère, deux procédés gourmands en énergie. Les biocarburants d’aujourd’hui entrent en concurrence avec les usages alimentaires et ne sont pas très vertueux du point de vue climatique. Le véhicule électrique s’est donc imposé dans le débat scientifique et politique.
Mais dans votre livre vous expliquez que transformer le parc automobile n’est pas suffisant ?
L’augmentation de la demande de transports, donc les kilomètres parcourus, est le principal levier qui explique la hausse de nos émissions. Se questionner sur les distances parcourues est donc essentiel. Il faudrait idéalement ne plus investir dans les projets de nouvelles autoroutes, de contournements routiers, de voies rapides, etc., qui ne font qu’augmenter les distances parcourues.
Les politiques publiques ont tendance à favoriser l’augmentation du trafic tout en cherchant à le rendre plus vert. Ils soutiennent par exemple l’achat de voitures électriques pour renouveler le parc. Mais ces aides sont-elles bien calibrées pour transformer les usages ? Si on ajoute à l’équation la question de l’accès aux ressources nécessaires pour produire ces véhicules électriques, la pollution, la consommation d’espace par la voiture qui pourrait être utilisé pour des activités sociales ou de la végétation, etc. On se rend compte que le véhicule électrique ne résout pas tous nos problèmes.
Ne risque-t-on pas d’opposer les métropoles et les territoires ruraux ?
Il est naturellement plus difficile de trouver des alternatives à la voiture dans les milieux ruraux que dans les grandes villes. En ville, la proximité favorise la marche ou le vélo et les transports en commun sont d’autant plus efficaces qu’il y a une densité importante de population et de déplacements.
Les investissements pour les mobilités alternatives ont été concentrés sur ces métropoles, de même que les politiques de mobilité longue distance, qui concernent surtout les trajets entre métropoles. Mais d’autres solutions de mobilité peuvent répondre aux problématiques des zones moins denses. La voiture est potentiellement une solution efficace, à condition qu’elle soit remplie avec cinq personnes. Pour les mobilités individuelles, il existe des véhicules plus sobres, intermédiaires entre la voiture et le vélo : les voiturettes, les microvoitures, les vélomobiles, les vélovoitures, etc. Il y a une grande diversité de véhicules, souvent peu connus, qui peuvent s’adapter à la diversité des besoins.
Quels sont les freins qui nous empêchent de remplacer la voiture ?
Il y a sans doute une question d’imaginaire, aussi bien de la classe politique que des citoyens. La voiture individuelle est surdimensionnée et a pris tellement de place que les autres types de véhicules intermédiaires n’ont pas ou peu été développés. Mais on voit de plus en plus d’initiatives à contrecourant de la tendance aux SUV de plus en plus lourds. C’est le cas de la Citroën Ami, et de la Renault Twizy il y a quelques années. L’électrique aide beaucoup leur développement car c’est bien adapté à des véhicules plus légers.
Le changement de modèle vers une mobilité plus durable ne menace-t-il pas les emplois de la filière automobile ?
Il y a déjà eu une baisse importante de l’emploi dans l’industrie automobile ces dernières années, avant même que l’on ne parle d’électrification. Les principaux facteurs qui l’expliquent sont les délocalisations et les gains de productivité. C’est un élément de contexte important.
La tendance à la relocalisation de la production de batteries est en cours, cela donne donc des perspectives d’emplois alignés aux objectifs environnementaux et sociaux. Le fait de développer un nouveau type de véhicule, plus sobre, avec de nouvelles technologies constitue un levier de réindustrialisation en repartant sur une base plus neuve. On ne peut pas compter sur une relocalisation du véhicule thermique, c’est un modèle du passé.
*"Voitures - Fake or not", Aurélien Bigo, Tana éditions, 2023