Publié le 10 janvier 2023
ÉNERGIE
Projet de loi énergies renouvelables : la chaleur est la grande oubliée
Le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables doit faire l’objet d’un vote à l’Assemblée nationale ce mardi 10 janvier. Il vise à accélérer le déploiement des projets éoliens et photovoltaïques. Les écologistes ont déjà annoncé qu’ils s'abstiendraient. Le texte présente de nombreuses failles. Il passe par exemple complètement sous silence le sujet de la chaleur renouvelable dont les besoins sont aujourd’hui principalement couverts par les énergies fossiles, gaz en tête.

@istock / danielsnaer
C’est un fait. Quand on parle d’énergies renouvelables, on pense éoliennes et panneaux photovoltaïques, et donc électricité renouvelable. Mais quasiment jamais chaleur renouvelable, à savoir biomasse, pompes à chaleur, solaire thermique, géothermie, biogaz ou encore récupération de chaleur. Or, les besoins énergétiques en chaleur sont très importants. Ils représentent 45 % de la consommation finale d’énergie, contre environ 25% pour l'électricité. Et alors que notre électricité est majoritairement décarbonée, les besoins en chaleur sont quant à eux couverts à 60% par les énergies fossiles, gaz en tête. Ainsi, la production de chaleur émet cinq fois plus de gaz à effet de serre que la production d’électricité.
Le retard de la France en matière d’énergies renouvelables, seul pays de l’Union européenne à avoir raté ses objectifs en 2020, ne concerne dès lors pas tant l'électricité renouvelable que la chaleur renouvelable. La part d’électricité renouvelable dans la production d’électricité était de 24,8 % contre un objectif de 27 %, tandis que pour la chaleur renouvelable, l’écart est bien plus important avec une part de seulement 23,4 %, contre un objectif de 33 %. "Pour la seule année 2022, cela équivaut à un coût compris entre 6 et 9 milliards d’euros en importation de gaz supplémentaire (pour un prix du gaz compris entre 100 et 150 euros le mégawattheure)", précise Andreas Rüdinger, coordinateur Transition énergétique France à l’Iddri. Une somme qui vient s’ajouter aux 500 millions d’euros que la France devra payer pour non-respect de l’objectif.
Seules les pompes à chaleur et la biomasse suivent le bon rythme
Et si nous n’avons pas tenu les objectifs 2020, ceux à 2030 ne sont pas non plus en passe d’être atteints si nous restons sur la trajectoire actuelle, s’accordent à dire les spécialistes. La programmation pluriannuelle de l’énergie vise à augmenter de 65 % la part de la chaleur renouvelable dans la consommation finale de chaleur en une décennie. Mais aujourd’hui, seules les pompes à chaleur et dans une moindre mesure la biomasse suivent le bon rythme. Très loin derrière, le solaire thermique, le biogaz et la géothermie profonde accusent un important retard, selon les estimations du cabinet Carbone 4, qui a comparé le rythme de croissance de ces dernières années à celui qui nous permettrait d'atteindre les objectifs.
"Le solaire thermique individuel permettrait de répondre aux besoins de chaleur en eau chaude sanitaire de toutes les maisons en France. En outre, deux fois plus d’énergie est récupérée avec le solaire thermique qu’avec le solaire photovoltaïque, et pourtant, nous continuons d’installer des panneaux photovoltaïques, plus avantageux d’un point de vue économique", souligne Alexandre Joly, responsable du pôle Energie au sein de Carbone 4.
Le doublement du fonds chaleur rejeté dans le budget 2023
Les raisons du retard français sont nombreuses. Il y a l'amalgame fréquent entre énergie et électricité. Il y a aussi la question de la compétitivité. La chaleur renouvelable était bien plus chère que le gaz naturel, mais la crise énergétique a rebattu les cartes. "Il y a eu un recalage avec un prix du gaz élevé, mais certains élus hésitent à opérer la bascule vers la chaleur renouvelable car ils ont besoin d’une visibilité à 10 ou 15 ans", commente Valérie Weber-Haddad, directrice en charge des filières chaleur, froid et transports au sein du Syndicat des énergies renouvelables. De plus, les procédures sont complexes et certaines filières sont peu ou mal méconnues (géothermie, solaire thermique, …).
"Le débat se cristallise sur le nucléaire et l’électricité renouvelable, mais il ne faut pas tout miser sur l’électrification des usages. Il serait préférable de viser un mix énergétique diversifié, afin d’assurer notre autonomie énergétique et notre résilience dans un contexte de plus en plus instable", poursuit Valérie Weber-Haddad. Les acteurs réclament notamment un doublement du fonds chaleur pour le porter à un milliard d’euros, alors que la chaleur renouvelable ne reçoit que 13 % des investissements dans les énergies renouvelables. Mais la demande a été rejetée dans le budget 2023.
"Le sujet est moins facile à porter au niveau national car il s’agit de projets locaux et complexes. La crise de l’énergie aurait pu être une occasion de booster les investissements, mais nous avons un peu loupé le train", constate Andreas Rüdinger. Le spécialiste se dit "choqué" que le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables fasse l’impasse sur la chaleur renouvelable "pourtant moins clivante que l’électricité renouvelable, à laquelle s’opposent la droite et l’extrême-droite". Le vote à l’Assemblée est prévue ce mardi 10 janvier avant la commission mixte paritaire qui se tiendra le 24 janvier.
Concepcion Alvarez @conce1