Publié le 13 avril 2017
ÉNERGIE
Transparence des entreprises extractives : les entreprises françaises peuvent mieux faire
Les entreprises extractives françaises doivent désormais publier les paiements qu’elles effectuent auprès des gouvernements des pays dans lesquels elles opèrent. Des données précieuses pour comprendre leurs liens financiers et détecter les éventuels abus dans un secteur jusqu’alors très opaque. Dans un rapport publié aujourd’hui, les ONG Sherpa, One et Oxfam, décryptent ces premières déclarations publiques portant sur 2016. Mais si elles saluent ce premier pas vers la transparence, elles regrettent une analyse encore très complexe de ces données en mettant en avant le cas de Total et Areva. Explications.

BOUREIMA HAMA / AFP
La transparence des industries extractives s’améliore mais des "zones d’ombre persistent", au détriment des pays dans lesquels ces entreprises opèrent. C’est le constat que dressent les ONG One, Oxfam France et Sherpa qui publient ce jeudi 13 avril, en collaboration avec le cabinet Basic, le rapport " La transparence à l'état brut : décryptage de la transparence des industries extractives".
Depuis 2016, les entreprises extractives françaises (les sociétés cotées et les grandes entreprises de plus de 250 salariés et de 40 millions de CA net) sont en effet tenues de publier les paiements (1) qu’elles effectuent aux gouvernements des pays où elles ont une activité, en détaillant les versements pour chacun de leurs projets.
Une avancée liée à la transposition d’une directive européenne de 2014 et qui permet aujourd’hui aux ONG, journalistes et autres organisations de se pencher sur les flux financiers pour détecter d’éventuels abus.
Des données qui demandent à être plus accessibles et contextualisées
"Les pays dans lesquels les compagnies pétrolières ou minières ont des activités sont souvent des pays riches en ressources naturelles mais les bénéfices - via notamment les recettes fiscales - ne reviennent pas toujours aux gouvernements ni surtout à leur population. C’est ce que l’on appelle la malédiction des ressources. L’analyse de ces données désormais publiques doit donc nous permettre de mieux comprendre où va l’argent", explique Laetitia Liebert, la directrice de Sherpa.
"C’est une préoccupation croissante de la part de la population qui supporte de moins en moins l’impunité fiscale des dirigeants politiques et des grands groupes, mais aussi une demande croissante des investisseurs. On le voit directement car ils nous contactent de plus en plus sur ces thématiques", assure-t-elle.
Et il reste encore des efforts à faire en matière de transparence. Car si les 6 entreprises françaises étudiées (Total, Areva, EDF, Engie, Eramet et Maurel&Prom) dans le rapport divulguent globalement les informations demandées par la loi, leur accès et leur compréhension reste difficile. "Il manque par exemple des précisions sur le contexte, sur les activités des entreprises ou sur les définitions des données utilisées ou encore sur la conversion des devises", précisent les auteurs du rapport.
Un flou qui amène les ONG à se poser des questions sur certaines données fournies par les entreprises comme Total et Areva.
Un écart de 100 millions de dollars inexpliqué chez Total
En Angola, premier pays producteur de pétrole africain et deuxième source d’approvisionnement en pétrole de Total, Sherpa s’interroge : "La déclaration de paiements aux gouvernements de Total a révélé un écart de plus de 100 millions de dollars entre les revenus déclarés par l'Angola en 2015 et ceux déclarés par l’entreprise sur son plus gros champ pétrolier. La compagnie pétrolière angolaise aurait-elle détourné une partie de ces revenus ? Total aurait-elle mis en place un prix de transfert ?"
Une interprétation que récuse Total qui souligne faire partie de l’initiative volontaire de référence ITIE sur la transparence du secteur au contraire de l’Angola. "Pour expliquer les écarts éventuels, il faut identifier les différences entre les indicateurs retenus [par Total et par l’Angola, NDLR] puis mener un travail important de réconciliation des données", explique un porte-parole du groupe qui précise que Total "respecte toutes ses obligations de reporting" (détaillé dans son document de référence) et reste "ouvert au dialogue".
Opacité sur l'uranium au Niger pour Areva
Quant à Areva, "les données montrent que pour une production équivalente, Areva a payé une redevance inférieure en 2015 qu'en 2014, privant ainsi le pays de 15 millions d'euros. Nos données suggèrent également qu'Areva serait parvenue à sous-évaluer ses exportations d'uranium vers la France, lui permettant de ne pas payer jusqu'à 30 millions d'euros d'impôts la même année, soit 18% du budget de la santé du Niger, un pays où l'espérance de vie dépasse à peine 60 ans", affirme Quentin Parrinello, porte-parole d'Oxfam France.
Mais pour Areva, l’explication est simple : "le prix de cession Niger est calculé en tenant compte d'indicateurs officiels du marché de l'uranium. L’évolution des retombées pour l’État du Niger comme pour les autres actionnaires est directement liée à l’évolution du cours de l’uranium qui a fortement baissé depuis quelques années (ex : en 2016 baisse de 35 à 20 dollars/livre). Ce n’est pas en soit l’accord de 2014, jugé équilibré par les autorités nigériennes, qui est responsable de l’évolution des retombées", affirme le groupe qui met aussi en avant l’emploi de personnel et de fournisseurs locaux à près de 100 %.
"Nous ne relâcherons pas la pression", avertit pour sa part Laetitia Liebert. Les associations entendent notamment faire entendre leurs arguments lors de la prochaine discussion au Parlement européen sur la révision de la directive, en 2018. Mais aussi dans les autres pays où des réglementations similaires sont en passe d’être détricotées. C’est notamment le cas aux Etats-Unis. Début avril, l'autorité des marchés financiers (la SEC) a notamment annoncé qu'elle n'appliquerait plus la partie du Dodd Frank Act concernant la transparence des industries extractives sur les minerais des conflits en raison d'un jugement le déclarant contraire à la liberté d'expression.
(1) Paiements égaux ou supérieurs à 100 000 € : droits à la production ; impôts ou taxes perçus sur le revenu, la production ou les bénéfices de sociétés ; redevances, dividendes ; primes de signature, de découverte et de production, droits de licence, frais de location, droits d’entrée et autres contreparties de licence et/ou de concession ; paiements pour des améliorations des infrastructures