Opérer dans des pays à risque entraine de nombreux compromis qui finissent par constituer une spirale de risques, dont il a longtemps été estimé qu’ils ne pesaient pas lourd face à des contrats mirobolants. Le cas de Technip Energies est de ce point de vue exemplaire. Le Monde a révélé jeudi 19 octobre que l’entreprise avait reculé sa sortie du projet Artic LNG2 malgré les sanctions contre la Russie déclenchées après la guerre en Ukraine. Technip assurait l’ingénierie et le montage de la méga usine de liquéfaction du gaz russe pour produire du GNL.
Ce projet complexe, en pleine Sibérie, où il peut faire moins 50°C, signé en 2019, devait lui rapporter plus de sept milliards de dollars. L’enquête approfondie publiée par Le Monde, basée entre autres sur des courriers internes, des témoignages et des images satellites, montre qu’il y a un décalage entre les déclarations de l’entreprise qui affirme avoir respecté les sanctions européennes et américaines et être sorti du projet au printemps 2023, et la réalité du chantier de construction. Preuves à l’appui, les journalistes racontent la pression exercée, dès avril 2022, par la Russie pour que Technip finisse le chantier.
Risques juridiques
"Les activités impactées par les sanctions ont été suspendues au fur et à mesure de leur entrée en application, en particulier à la suite de la publication du cinquième paquet de sanctions européennes le 8 avril 2022, effectives à partir de mai 2022", indique la société dans un communiqué publié jeudi après-midi. Elle explique aussi avoir "réalisé une analyse rigoureuse de tous les équipements exportés, dont les milliers de composants des deux modules de type utilités livrés après mai 2022, afin d’appliquer les codes douaniers appropriés."
Les conséquences de cette affaire pourraient être multiples pour Technip Energies. Les risques juridiques liés au non respect des sanctions sont importants mais flous en ce qui concerne l’Europe. En revanche si l’entreprise est poursuivie dans un cadre juridique américain, cela peut coûter beaucoup plus cher. BNP Paribas en a fait l’expérience en 2014. Elle a dû payer une amende de plus de huit milliards de dollars pour avoir enfreint l’embargo sur le Soudan en faisant des opérations sur le trading du pétrole et du gaz et n’a plus pu travailler avec des institutions américaines. Une somme qui se chiffre en centaines de millions de dollars.
L’exploitation des énergies fossiles de plus en plus scrutée
Si Technip Energies est ciblé juridiquement à la fois pour avoir continué à collaborer avec un pays sous sanction mais aussi aggravé le changement climatique en installant de nouvelles capacités de production de gaz, l’addition pourrait être particulièrement lourde. Ces risques juridiques restent à ce stade des menaces d’autant plus que l’Europe semble elle-même être laxiste sur ses propres sanctions. Elle a passé des accords avec l’Azerbaïdjan – qui n’est pas sur liste noire. Le pays prévoit de lui livrer plus de gaz qu’il n’est capable d’en produire. Force est d’imaginer qu’il vend ainsi à l’Europe indirectement du gaz russe pourtant sous sanction.
Anne-Catherine Husson-Traore, directrice des publications de Novethic