Publié le 02 juillet 2014
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
BNP Paribas : derrière la procédure américaine, les crimes de guerre soudanais
Plaider coupable et s’acquitter d’une amende de 8,83 milliards de dollars. C’est le prix que va devoir payer le groupe BNP Paribas pour avoir enfreint l’embargo américain sur le Soudan avec des opérations de trading sur le pétrole et le gaz. Des opérations réalisées en dollars par sa filiale suisse. Si de nombreuses voix protestent contre la toute-puissance du dollar et de la justice américaine, elles oublient d’évoquer les crimes de guerre commis au Soudan. Des exactions qui ont motivé la décision d’embargo américaine. Analyse.

© Ashraf Shazly
L’affaire BNP Paribas témoigne d’une nouvelle situation : la mise en accusation pour des activités de financement en lien avec des ressources provenant de pays sur liste noire. Le volume des transactions, 190 milliards de dollars, leur dissimulation mais aussi le fait qu’elles aient aidé les banques d’un pays comme le Soudan sont des facteurs aggravants.
Khartoum est en effet dans le viseur de la justice internationale. Omar el-Béchir, le président soudanais, est accusé de crimes de guerre par le tribunal pénal international (TPI).
Le Soudan, zone rouge pour l’investissement responsable
Le Soudan est non seulement sous embargo américain mais aussi considéré comme une zone rouge par les investisseurs responsables, qui souhaitent éviter les entreprises associées à des violations graves et répétées des droits humains. Ils excluent par exemple de leurs portefeuilles les entreprises qui exploitent les ressources pétrolières du pays car elles sont accusées de financer le régime. C’est ce que .
La mécanique d’embargo permet de sanctionner économiquement et financièrement un régime qui piétine les droits de l’homme. Elle a contribué à mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud.
Alors quid du Soudan ? L’activité de trading sur ses ressources pétrolières est-elle du même ordre que la construction d’un barrage ayant entrainé des déplacements de population qui justifie l’exclusion d’Alstom par une dizaine de grands fonds de pension d’Europe du Nord ? A quel stade de la chaîne de décisions une entreprise peut-elle voir mise en cause sa responsabilité juridique et financière ? Quels sont ces nouveaux risques juridiques, sociaux et sociétaux qui peuvent coûter 8 milliards de dollars d’amende à une entreprise comme BNP Paribas et la mise à l’index par les investisseurs qui appliquent les embargos américains ?
Engagement volontaire : le passage obligé
Epineuses questions à laquelle s’efforce de répondre une étude, publiée le 17 juin 2014 par deux entreprises spécialisées, le broker Kepler Cheuvreux et l’agence Affectio Mutandi. "Les règles du jeu se complexifient et les lois nationales traditionnelles ne sont qu’un élément parmi d’autres des obligations auxquelles sont soumises les entreprises, explique Yann Queinnec, le directeur général d’Affectio Mutandi. Nous l’avons décrit comme un iceberg constitué d’une partie émergée : les règles habituelles (lois, conventions internationales, NDLR) et d’une partie immergée, le faisceau de normes et d’engagements volontaires sur lesquels les entreprises peuvent tout autant avoir à rendre des comptes."
Pour éviter une issue semblable à celle vécue par BNP Paribas, les rédacteurs de l’étude conseillent de mettre en place des processus spécifiques pour identifier ces nouveaux risques. Ce sera le cas pour BNP Paribas puisque les sanctions contre le groupe prévoient aussi de mettre en place un nouveau département basé à New York intitulé "sécurité financière du groupe". Son objet sera de "veiller à ce que BNP Paribas respecte dans le monde entier les règlementations des Etats-Unis relatives aux sanctions internationales et aux embargos."
Les règles du jeu international changent et le secteur financier doit, contraint et forcé, faire évoluer ses pratiques. Les 15 premières banques européennes ont augmenté considérablement leurs provisions pour litiges et amendes. Avec près de 25 milliards de dollars, elles représentaient plus de 50 % de leurs résultats avant impôts en 2013 contre seulement 10 % en 2011.