Publié le 04 janvier 2019
ÉNERGIE
Sortie du charbon en 2022 : un casse-tête social et technique
En pleines fêtes de Noël, les salariés des centrales à charbon de Gardanne dans les Bouches-du-Rhône et de Saint-Avold en Moselle, apprenaient que leurs usines allaient bientôt tomber entre les mains du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. Alors que leur fermeture a été actée pour 2022, ce rachat met en lumière les difficultés sociales et techniques pour tenir un tel objectif.

@Foudebassans / Wikipédia
En écho aux Gilets jaunes, une autre gronde a émergé en France tout au long du mois de décembre, avec une mobilisation nationale le 13 décembre à Paris. Elle vient des salariés du charbon, dont les usines sont condamnées à la fermeture en 2022, au nom de la transition énergétique.
Il reste aujourd’hui quatre centrales au charbon dans l’Hexagone. Deux sont exploitées par EDF et se trouvent à Cordemais, en Loire-Atlantique, et au Havre, en Seine-Maritime. Les deux autres sont gérées par l’Allemand Uniper (ex-E.on) et sont situées à Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône, et à Saint-Avold, en Moselle.
Ces-dernières font actuellement l’objet de négociations de rachat avec EPH, dont le principal actionnaire est le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. Le groupe, créé en 2009, a fait fortune en rachetant des actifs charbonniers proches de la fermeture, à contre-courant de la transition énergétique. En quelques années, il est devenu le deuxième émetteur de gaz à effet de serre en Europe, derrière le géant allemand RWE.
Bombe à retardement
Pour les Amis de la Terre, ce rachat constitue une bombe à retardement. "Lobbying agressif, baisse des coûts de production, pression sur les salariés et les sous-traitants, compensations financières... EPH est le spécialiste des combines pour repousser la date de fermeture de ses actifs et faire un maximum de profit en peu de temps, sans se soucier des salariés ni préparer leur avenir et anticiper leur reconversion", explique Cécile Marchand, chargée de campagne climat au sein de l’ONG.
De son côté, EPH précise qu'il est "tout à fait conscient de l'aspect social" du dossier. "La fermeture des centrales demandera une réorganisation et la définition d'une nouvelle stratégie", souligne le groupe basé à Prague. À partir du 8 janvier, le comité central d'entreprise sera réuni en vue du rachat. Dans le même temps, sera engagé le processus d’autorisations administratives.
Jeu de Monopoly
Sur le terrain, les salariés craignent un démantèlement de leur entreprise. Car, outre les deux centrales à charbon, EPH va aussi récupérer deux unités à gaz qui devraient passer sous le giron de Total. Le pétrolier français a en effet confirmé avoir signé un accord avec EPH pour acquérir ces centrales au 1er janvier 2020.
"Si cela s'avère vrai, la stratégie d'EPH apparaît clairement : ils viennent pour démanteler et faire du business à court terme, s'inquiète Nadir Hadjali, secrétaire général CGT à la centrale de Gardanne. Le syndicat s'oppose à ce jeu de Monopoly où les salariés sont passés en perte et profit." Sur place, une grève a démarré le 7 décembre. Les salariés appellent à un moratoire sur la fermeture des centrales pour préparer la reconversion. Mais ils se sont vu adresser une fin de non-recevoir par le gouvernement. Au total, 5 000 emplois directs et indirects seraient menacés par la fermeture des quatre sites.
La date de 2022 est théorique et très incertaine
"Ce que le rachat des actifs d’Uniper par EPH met en lumière c’est finalement le risque social qui a toujours pesé sur la fermeture des centrales à charbon, analyse Nicolas Goldberg de Columbus Consulting. Mais il y a aussi le risque sur le réseau qu’EPH ne manquera pas de mettre en avant pour décaler la date de 2022. Car cette date est avant tout théorique et présente beaucoup d’incertitudes".
Dans son dernier bilan énergétique, RTE a conditionné cet objectif à une longue série de critères, parmi lesquels la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim (Haut-Rhin), le lancement du réacteur EPR de Flamanville (Manche) "hors période hivernale", donc à l'été 2020, et la mise en service de la centrale au gaz de Landivisiau dans le Finistère.
Tout autant de brèches qui vont permettre à EPH de négocier avec le gouvernement et ainsi rentabiliser son investissement de départ, dont le montant n’a pour l’heure pas été dévoilé … "Le groupe tchèque a vraiment tout à gagner à racheter les deux centrales françaises pourtant vouées à la fermeture", conclut Nicolas Goldberg.
Concepcion Alvarez, @conce1