Publié le 17 novembre 2017
ÉNERGIE
[Décryptage] La star de la COP23, c’est le charbon
Les deux semaines de la COP23 devaient être consacrées au cas des états insulaires menacés par la montée des eaux. Mais l’attention médiatique a été consacrée au cas des Américains, qui ont annoncé en juin dernier leur sortie de l’Accord de Paris, et indirectement à leur promotion du charbon. La première énergie de la planète étant pourtant devenue l’ennemi climatique numéro un depuis la COP21 à Paris.

MartinLizner
Les plus optimistes y voient une prise de conscience que l’ennemi mortel de l’atmosphère terrestre est le charbon. Les plus pessimistes comprendront qu’il y a encore beaucoup de travail à faire pour convaincre l’humanité de laisser le charbon dans les veines fossiles qui l’ont vu naître. Quoi qu’il en soit, la COP23 de Bonn en Allemagne, censément placée sous la présidence Fidjienne au nom des petits états insulaires, a surtout été un grand débat sur le "King Coal" (le roi charbon) qui compte toujours pour 40 % du mix électrique mondial.
Il y a eu bien sûr la prise de position américaine en faveur du "charbon propre". Judith Garber, secrétaire d'État adjointe aux Affaires scientifiques et environnementales, l’assure : "Nous souhaitons soutenir les énergies les plus propres, les plus efficientes, quelles qu'en soient les sources". En réalité, le pays pose, en condition à son retour dans l’Accord de Paris, le fait que les innovations en matière de charbon (centrales supercritiques, stockage du CO2…) soient prises en compte dans la lutte contre le réchauffement.
La communauté internationale a répondu à Washington en lançant l’explicite "Alliance pour la sortie du charbon". 20 pays, menés par le Canada et le Royaume-Uni, se sont engagés à mettre fin à cette énergie. "Lorsque certaines des plus grandes économies du monde s'engagent à ne plus consommer de charbon, cela envoie un message puissant au reste du monde que les jours du charbon sont comptés", assure Mickael Bloomberg, l’ancien maire de New-York devenu figure emblématique du combat de la société civile pour le climat. Problème, aucune grande nation charbonnière n’est au rang des membres.
When some of the world’s largest economies pledge to go coal-free, it sends a powerful message to the rest of the world that coal’s days are numbered. The leaders of this coalition are setting a great example that will help to accelerate the end of coal. https://t.co/W7Pt6bLydr
— Mike Bloomberg (@MikeBloomberg) 16 novembre 2017
La France attaque l’Allemagne
Un des pays membre de la coalition, la France, n’a pas hésité à faire la leçon sur le charbon à une des grandes économies qui n’y est pas, l’Allemagne. Emmanuel Macron et la Chancelière Angela Merkel sont les deux seuls chefs d’État à avoir fait le déplacement à Bonn. Et le Président Français ne s’est pas embarrassé de diplomatie. Devant les négociateurs il assure: "Que personne ne se trompe: prétendre que nous devrions accélérer la fermeture de centrales nucléaires (…), c'est nous condamner dans les prochaines années à rouvrir des centrales à charbon". Puis, il s’est dit favorable à l’instauration d'"un prix plancher du CO2" sur le Continent.
Un message fort pour l'Allemagne qui produit 40 % de son électricité à partir du charbon et qui a rouvert des mines de houilles après avoir décidé de fermer tous ses réacteurs nucléaires d’ici 2022. Surtout Berlin craint l’instauration d’un prix plancher du CO2 qui pénaliserait l’hyper-compétitivité de son industrie. Le président Français pouvait appuyer sa leçon sur l’étude de l’ONG Energy for Humanity publiée à l’occasion de la COP23.
Celle-ci a classé les pays selon leurs efforts de décarbonation ces dernières années. Si le Royaume-Uni arrive en tête grâce au déploiement de l’éolien offshore et de son programme nucléaire, c’est l’Allemagne qui se classe bonne dernière. "Le tournant énergétique de l'Allemagne, “l’Energiewende”, a empiré la situation du climat (…) en verrouillant la pire dépendance possible aux énergies fossiles, le charbon (…) L’Allemagne émet à elle seule 18 % du total des émissions de ces 33 pays (inclus dans l’étude, ndlr)", constate l’ONG.
Rendez-vous en Pologne
Les investisseurs sont aussi intervenus. Alors que beaucoup d’entre eux ont déjà annoncé le désinvestissement du charbon depuis deux ans, une nouvelle annonce est venue de Storebrand, le plus gros fonds de pension privé de Norvège avec plus de 80 milliards de dollars d’actifs. Il a annoncé l’exclusion de 10 nouvelles sociétés de son portefeuille d’investissement, dont le polonais PGE et les allemands Uniper et RWE. Toutes de grandes exploitantes de centrales à charbon. L’appel de Markus Krebber, le directeur financier de RWE, n’y a rien changé. Selon lui, "Sortir du charbon à court terme empêcherait de continuer à garantir la sécurité de l'approvisionnement en électricité".
On pourrait penser que la tenue de la COP23 en Allemagne a rendu ce sujet particulièrement sensible… Dans ce cas, accrochons-nous en vue de la COP24 ! Elle se déroulera à Katowice, la deuxième plus grande ville de Pologne qui a construit sa richesse sur les ressources de charbon. Là-bas, les pays très dépendants à ce combustible plaideront pour être aidés à réaliser leur transition énergétique.
Cet événement s'annonce d’ores-et-déjà un terrain de jeu idéal pour les États-Unis. L’administration pourra faire valoir tout le mérite des nouvelles technologies liées au charbon. On pensait la guerre du charbon presque gagnée avec l’Accord de Paris… Mais la position américaine ouvre un nouveau front.
Ludovic Dupin, @LudovicDupin