Depuis quelques semaines, le monde économique se déchire autour de la proposition de taxe plancher sur le patrimoine des ultra-riches. Le projet de “taxe Zucman”, du nom de l’économiste, professeur à l’Ecole nationale supérieure et ancien chercheur associé à l’Université de Berkeley, propose en effet d’instaurer un impôt minimum de 2% sur les patrimoines supérieures à 100 millions d’euros. La mesure vise à rapporter près de 20 milliards d’euros par an de recettes fiscales à l’Etat, et à réduire la dette publique. Mais depuis qu’elle s’est imposée dans l’agenda médiatique et politique, la taxe Zucman suscite le débat chez les entrepreneurs français.
Il y a quelques jours, Bernard Arnault, patron du groupe de luxe LVMH, classé parmi les 10 plus grandes fortunes mondiales, a qualifié Gabriel Zucman de “militant d’extrême-gauche” et la taxe Zucman de “mortelle pour notre économie”. D’autres, comme l’investisseur et entrepreneur des cryptomonnaies Eric Larchevêque, estiment que le projet de taxe pourrait “détruire l’attractivité” de la France, et constituer un frein à l’entrepreneuriat et à l’innovation. Mais face à ces détracteurs, de nombreux entrepreneurs ont au contraire pris la parole pour soutenir la taxe Zucman ou le renforcement de l’imposition des ultra-riches.
Une taxe “nécessaire et applicable”
Sur LCI, Michel Picon, dirigeant de l’Union des entreprises de proximité (3,4 millions d’entreprises en France), déclarait ainsi attendre de Sébastien Lecornu plus de justice fiscale. “Je vais demander au premier ministre – oui je sais que ce n’est pas à la mode dans la bouche d’un patron – de taxer les dividendes, de taxer davantage les revenus financiers, de taxer davantage les revenus fonciers” a-t-il affirmé. Sans soutenir directement la taxe Zucman, dont il doute des modalités pratiques, Arthur Mensch, co-fondateur de la licorne Mistral AI, a également affirmé être “convaincu qu’il faut plus de justice fiscale en France”.
Plus encore, dans La Tribune du Dimanche, trois entrepreneurs français de la tech soutiennent le projet de taxation. “La taxe Zucman est nécessaire, applicable, et elle ne découragera pas l’entrepreneuriat”, estiment ainsi Armand Thiberge, fondateur de Brevo (Next40), Jean-Baptiste Rudelle, fondateur de Criteo (coté au Nasdaq), et Marc Batty, confondateur de la licorne Dataiku (Next40). Les dirigeants jugent que l’instauration d’une taxation effective plus importante des patrimoines des ultra-riches est “une question de justice et de cohésion nationale”.
Aux critiques qui reprochent au projet de taxe de s’appliquer à un patrimoine non-liquide (des titres boursiers), Gabriel Zucman propose d’autoriser le paiement de cet impôt en actions à l’Etat français, en permettant aux dirigeants d’entreprise de conserver leurs droits de vote. Dans leur tribune, les trois chefs d’entreprise estiment qu’une “option de rachat permettrait aussi à l’entrepreneur de pouvoir, s’il le souhaite, récupérer ses actions une fois qu’il dispose des liquidités“. Une manière de contourner les potentiels effets néfastes d’une taxe Zucman sur les start-up à forte croissance.
“Complètement légitime et indispensable”
Pascal Demurger, co-président du Mouvement Impact France, syndicat patronal des entreprises engagées, déclarait quant à lui il y a quelques jours sur RTL soutenir le principe d’une taxe sur les très gros patrimoines. “Je pense que sur le principe, c’est complètement légitime et même indispensable d’avoir une taxation des patrimoines les plus importants“, explique ainsi le dirigeant, concédant toutefois que des “ajustements” seraient peut-être à faire sur le projet de taxe Zucman. “Nos entreprises ont besoin qu’un budget soit voté pour avancer, pour retrouver en stabilité et visibilité, et nous considérons aussi que sans justice fiscale, sans effort partagé, la colère sociale sera toujours là. On doit contribuer pour montrer la solidarité des grandes entreprises et des plus fortunés”, estime ainsi Pascal Demurger.
Le débat sur la taxation des ultra-riches, récurrent depuis une dizaine d’années, ne divise pas les milieux économiques qu’en France. Aux Etats-Unis, plusieurs appels ont été lancés par des collectifs de milliardaires et chefs d’entreprise pour appeler à la création d’une taxe sur les hauts patrimoines, preuve que de plus en plus de dirigeants économiques semblent désormais conscients de l’importance de la justice fiscale. Le débat a pris une telle ampleur qu’il est désormais porté au niveau international : en juillet dernier, les ministres des finances des pays membres du G20 ont ainsi approuvé le principe d’une taxe internationale minimale sur les milliardaires, sur l’initiative du Brésil. Inspirée par les travaux de Gabriel Zucman, cette taxe pourrait permettre d’éviter les possibles phénomènes d’évasion fiscale des plus riches.