Publié le 28 avril 2025

A l’occasion de la Journée mondiale de la santé et de la sécurité au travail, l’Organisation internationale du travail publie un rapport inédit sur les liens entre intelligence artificielle et santé au travail. Elle pointe notamment les risques de ces nouvelles technologies sur la santé mentale des travailleurs : isolement social, stress technologique, perte d’autonomie, etc.

L’IA n’en a pas fini de bouleverser le monde du travail. Depuis plusieurs années maintenant, des voix commencent à s’élever pour anticiper les impacts des technologies de l’intelligence artificielle sur nos emplois et sur nos modes de travail. Un rapport de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) publié il y a quelques jours revient justement sur le sujet, en tentant de comprendre comment l’IA pourrait peser sur la santé des travailleurs.

La numérisation, la robotisation ou encore l’automatisation accélérées par l’intelligence artificielle sont les principales pratiques à risque pour la santé ou encore la sécurité des travailleurs visées par l’OIT. Si le rapport souligne certains bénéfices potentiels de l’IA en matière de santé et de sécurité au travail, notamment grâce à la détection facilitée des risques ou l’automatisation des tâches difficiles, il anticipe aussi une hausse des risques en matière d’intensification du travail, de santé mentale, ou d’isolement social lié aux technologies de l’intelligence artificielle.

Baisse de l’épanouissement au travail, isolement social

Le rapport pointe notamment le risque du “stress technologique”. “Les travailleurs étant soumis à une pression constante pour s’adapter à des outils et à des processus en rapide évolution”, ainsi qu’à “l’incertitude entourant des systèmes d’IA constamment mis à jour”, une hausse des atteintes à la santé mentale au travail liée à l’IA est attendue, selon les auteurs. Le risque ? L’obsolescence humaine comme l’appelait le philosophe Günther Anders, soit la perte du sens humain face à l’omniprésence technologique. “On ne peut pas, par exemple, demander à un travailleur bien avancé dans sa carrière de maîtriser d’un coup deux, trois, quatre nouveaux outils technologiques. Il faut faire en sorte que les formations et l’accompagnement nécessaire soient mis en place”, commente Manal Azzi, directrice de la santé et sécurité à l’OIT.

Pour l’OIT, la généralisation de l’IA pourrait également provoquer “un recul des interactions humaines et du soutien des pairs ou de l’encadrement, laissant les travailleurs plus seuls face aux technologies et aux données”. Un isolement social qui pourrait renforcer encore la crise de la santé mentale au travail. Devant leurs écrans et leurs outils IA, les travailleurs risquent ainsi de voir leur quotidien se transformer en une succession de tâches répétitives, où il devient impossible d’exprimer sa créativité ou son savoir-faire, “ce qui réduit le sentiment d’accomplissement et l’autonomie des travailleurs”, écrivent les auteurs du rapport.

Le risque d’une culture de la surveillance numérique

Les inquiétudes de l’OIT portent également sur l’“effacement progressif des frontières entre vie professionnelle et vie privée”, “la surveillance intrusive et un contrôle permanent qui peuvent empiéter sur la vie privée et réduire l’autonomie au travail”. Avec l’IA, qui permet de mettre en place des systèmes de monitoring et de reporting en temps réel des tâches des travailleurs, le risque est réel qu’émerge dans les entreprises une culture de la surveillance numérique généralisée. Outils de surveillance des frappes au clavier, vidéosurveillance automatisée, ou encore chronométrage des gestes et des pauses pourraient ainsi se généraliser, au détriment des travailleurs.

“Le management algorithmique peut sembler génial pour optimiser le travail, mais cela peut être très invasif pour les travailleurs, si ce n’est pas utilisé pour protéger la santé et la sécurité, mais pour pousser la productivité ou accélérer les deadlines”, commente Manal Azzi. “Les travailleurs deviennent alors esclaves de ces systèmes, et ne peuvent plus exprimer leurs besoins” ajoute-t-elle.

Des outils à encadrer

Le rapport invite ainsi les pouvoirs publics à réglementer rapidement les usages de l’IA dans le monde du travail, afin de “s’assurer que ces changements ne se transforment pas en risque potentiel”. Pour l’OIT, il est urgent pour les Etats de réfléchir à la mise en place de cadres contraignants, que ce soit en matière de respect de la vie privée, des droits sociaux et des données personnelles, de droit à la déconnexion, ou de pratiques managériales liées à l’IA. “Ces technologies ne sont pas sans risque, elles génèrent de nombreuses inquiétudes et nous devons donc prendre garde à la manière dont ces technologies sont mises en place, et surtout de ne pas devenir trop dépendantes d’elles”, ajoute Manal Azzi. Dans cette optique, l’Union européenne a déployé en 2024 son AI Act, règlement européen sur l’intelligence artificielle, qui liste les risques associés à l’IA et met en place progressivement à partir de cette année des interdictions et des obligations de transparence pour les outils liés à l’IA… Sans toutefois attaquer frontalement la question de l’IA au travail.

Mais outre les cadres réglementaires, l’un des enjeux clés du déploiement de l’IA dans les organisations est l’implication des travailleurs, qui doivent selon l’OIT être parties prenantes actives de la mise en place de ces nouveaux outils. Il y a quelques semaines, le tribunal judiciaire de Nanterre a d’ailleurs suspendu la mise en place d’un outil d’IA dans une entreprise qui n’avait pas consulté le Comité social et économique (CSE). Une illustration des tensions qui émergent déjà autour de l’impact de l’IA sur nos façons de travailler, et notre santé et notre sécurité au travail.

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