Donald Trump persiste et signe. Dans son discours devant le Congrès, le nouveau président américain a assuré que les États-Unis comptaient bien “reprendre” le canal de Panama. “Mon administration va récupérer le canal de Panama, et nous avons déjà commencé à le faire. Aujourd’hui même, une grande entreprise américaine a annoncé qu’elle achetait les deux ports autour du canal de Panama et beaucoup d’autres choses en rapport avec le canal de Panama et quelques autres canaux “, a-t-il notamment annoncé, mardi 4 mars.
Dans le même temps, le fonds d’investissement américain Blackrock a annoncé avoir conclu un accord pour racheter la majeure partie des activités portuaires du conglomérat chinois CK Hutchison dans le canal du Panama. Pour une valeur de 22,8 milliards de dollars, le plus gros gestionnaire d’actifs privés du monde va acquérir les deux principaux ports du canal de Panama, les ports de Balboa et de Cristobal, situés à chaque extrémité du canal. Au total, ce consortium – qui comprend Terminal Investment et Global Infrastructure – contrôlera 43 ports comprenant 199 postes d’amarrage dans 23 pays.
Une position stratégique pour les États-Unis
Avec cette acquisition américaine, Donald Trump a-t-il gagné la bataille du canal de Panama ? Pour le co-directeur général de CK Hutchison, Frank Sixt, c’est non. Ce dernier a assuré, par communiqué, que cette transaction “est de nature purement commerciale et n’a aucun lien avec les récentes informations politiques concernant les ports de Panama”. “Il s’agit d’une transaction mondiale, entre deux entreprises mondiales privées, motivée par des intérêts mutuels”, a également insisté le gouvernement panaméen.
C’est en tout cas une coïncidence troublante, car quelques semaines plus tôt, le gouvernement panaméen avait annoncé le lancement d’une commission d’enquête sur cette même société chinoise, CK Hutchison. L’objectif : vérifier si l’entreprise, basée à Hong-Kong, respectait bien les règles du contrat. A défaut, “le gouvernement se réservait le droit de rompre le contrat“, explique Laurent Giacobbi, chercheur associé à l’Iris et enseignant à l’Université des Antilles, auprès de Novethic.
Cette signature intervient surtout quelques semaines à peine après la visite sur le sol panaméen du secrétaire d’État américain Marco Rubio et l’ordre adressé au Panama de réduire l’influence chinoise sur le canal sous peine de représailles. “Bien que le gouvernement et le président panaméen ne cessent de réaffirmer leur souveraineté sur le canal, il n’en reste pas moins qu’ils ont immédiatement réagi à cette pression en annonçant par exemple leur retrait des Nouvelles routes de la soie”, précise Laurent Giacobbi. Le président panaméen José Raul Mulino a en effet annoncé le 6 février dernier le retrait de son pays du projet d’infrastructure chinois des Nouvelles routes de la soie, et ce alors que le Panama était le premier pays latino-américain à y adhérer en novembre 2017.
Un canal menacé par le changement climatique
Sauf que dans ce jeu de pouvoir et de géostratégie se trouve aujourd’hui un canal de Panama plutôt mal en point. Malgré un chiffre d’affaires historique de près de 5 milliards de dollars l’an dernier, reversant ainsi près de 2,5 milliards de dollars au fisc panaméen, le trafic maritime a chuté quant à lui de près de 30% sur un an. La raison ? Le canal, voie où transite près de 5% du commerce maritime mondial, subit de plein fouet la sécheresse, obligeant l’Autorité du canal de Panama (ACP) à restreindre le passage à 22 navires par jour contre 38 et à diminuer le tirant d’eau autorisé de 50 à 44 pieds, soit de 15 à 13 mètres.
“L’urgence numéro un pour le canal de Panama est de pouvoir continuer à fonctionner de manière pérenne dans un contexte de dérèglement climatique”, rappelle Laurent Giacobbi. “Ce qui pousse aussi bien le gouvernement que l’ACP à se projeter dans des travaux d’adaptation pharaoniques, de l’ordre de 2 à 3 milliards de dollars.” Parmi les travaux envisagés, les autorités examinent la possibilité de construire un nouveau réservoir sur le fleuve Indio, à l’ouest du canal, et celle de transformer en réservoir le lac existant de Bayano.
“Mais comment peut-on imaginer que le canal puisse fonctionner de manière pérenne alors qu’il serait géré plus ou moins directement par un président ouvertement et profondément climatosceptique ?”, s’interroge Laurent Giacobbi. Pour ce chercheur, Donald Trump se retrouve donc face à ses propres contradictions : “devoir financer des travaux pour faire face au changement climatique alors qu’il en nie toute réalité au point de déclarer la guerre aux scientifiques qui en apportent la preuve”.