Publié le 20 février 2025

Alors qu’un nombre croissant d’entreprises s’emparent de l’intelligence artificielle dans l’espoir d’accroître leur productivité, chercheurs, syndicats et experts pointent les conséquences de cette révolution technologique sur l’emploi et les conditions de travail des salariés.

Source d’opportunités ou présage d’une casse sociale ? La place de l’intelligence artificielle (IA) dans l’avenir du travail était l’une des thématiques centrales du Sommet pour l’action sur l’IA qui s’est tenu les 10 et 11 février derniers à Paris. Alors que l’impact de l’IA sur le monde de l’entreprise génère pour l’heure plus de questions que de certitudes, de plus en plus de voix s’élèvent afin d’alerter sur les risques que fait peser l’arrivée de ce qui s’apparente à une véritable révolution technologique.

“Si les entreprises peuvent remplacer les travailleurs par des robots, il est très probable qu’elles le fassent”, s’est inquiété Gilbert Houngbo, le directeur général de l’Organisation internationale du travail (OIT) lors d’une table ronde au Grand Palais où étaient réunis dirigeants politiques et acteurs de la tech. Des craintes dont les représentants syndicaux se sont fait l’écho à l’occasion d’un “contre-sommet” au Théâtre de la Concorde, pour dénoncer les menaces grandissantes de l’utilisation de robots conversationnels sur les emplois, les métiers et l’acquisition du savoir.

Entre 5% et 33% des emplois menacés

Habib El Kettani, délégué syndical Solidaires informatique au sein d’Onclusive décrit ainsi une “automatisation déjà en marche depuis une dizaine d’années”, qui s’est renforcée avec l’arrivée de l’outil phare ChatGPT fin 2022. La société spécialiste des relations presse est en effet un cas d’école. En septembre 2023, elle a annoncé ce qui pourrait être le premier plan social lié en partie à l’IA, en France. En cause : l’automatisation et la digitalisation de certaines tâches qui doit, à terme, provoquer la suppression de plus de 200 postes.

Et ce n’est qu’un début. Dans son étude “Future of jobs report 2025” diffusée en janvier dernier, le Forum économique mondial (FMI) affirme que 41% des entreprises envisageraient de réduire leur main d’œuvre en réponse au développement de l’IA. De son côté, l’Unedic, dont l’analyse s’appuie sur sept rapports publiés entre 2023 et 2024, estime que le nombre de postes “potentiellement menacés” pourrait aller de 5% à 33%. Une fourchette assez large qui traduit l’incertitude entourant les conséquences de l’intelligence artificielle sur le marché de l’emploi, note l’association en charge de la gestion de l’assurance chômage en France.

Les femmes en première ligne

Tous les postes ne seront cependant pas logés à la même enseigne. Selon l’Unedic, “les emplois constitués majoritairement de tâches administratives et répétitives” sont susceptibles “de disparaître car automatisés par l’IA générative”. Le risque de chômage “sera d’autant plus prégnant que les compétences des travailleurs ayant perdu leur emploi ne correspondront pas à celles requises par les nouveaux emplois émergents”, ajoute l’organisme. Cet effet dit de “substitution” pourrait par ailleurs davantage concerner les salariées, creusant les inégalités entre femmes et hommes met en garde l’OIT. “Nous savons que la plupart des emplois qui seront automatisés seront des emplois dans lesquels nous avons une majorité de femmes qui travaillent”, a déclaré Gilbert Houngbo lors du sommet de Paris.

Le directeur de l’OIT a toutefois rappelé que, pour le moment, l’IA créait davantage d’emplois qu’elle n’en détruisait, même si ces nouveaux postes risquent d’être “moins bien rémunérés et moins bien protégés”. C’est l’un des autres impacts de l’intelligence artificielle sur les entreprises : elle pourrait entraîner une dégradation des conditions de travail. Pour les sociétés, le déploiement de l’IA et l’automatisation semblent souvent synonyme de gain de coûts, de temps et de productivité. Mais pour que ces avancées bénéficient aux salariés, la façon dont sera implémentée l’IA sera cruciale souligne le Conseil économique, social et environnemental (Cese) dans un rapport dévoilé en janvier 2025.

“Intensification physique et mentale du travail”

Sans dialogue et réflexion approfondie sur ces bouleversements, la réduction des tâches confiées à l’humain pourrait par exemple entraîner “un effet négatif sur les salaires”, confirme le Cese. En modifiant le rythme et la nature des missions confiées aux salariés, l’IA risque également d’engendrer une perte de sens et d’autonomie, tout en conduisant “par la concentration de l’activité humaine sur les tâches les plus complexes (…) [à une] intensification physique et mentale du travail”. “A contrario, la prise en charge des tâches répétitives par un système d’intelligence artificielle pourrait permettre aux travailleurs et travailleuses de se concentrer sur les tâches considérées comme plus valorisantes”, souligne le Conseil.

Pour que les salariés ne soient pas laissés de côté, “un vrai soutien grâce à un système de protection sociale” mais aussi “de formation continue” devront être mis en place insiste Gilbert Houngbo. “Car en vérité, ce n’est pas l’intelligence artificielle qui va nous prendre notre emploi mais le manque de préparation pour développer de nouvelles compétences”, avance-t-il. Face à ces enjeux, les syndicats sont déjà sur le pont. Tandis que la CGT enjoint au “contrôle public” et à la transparence de l’IA, Force ouvrière appelle à la tenue de négociations collectives sur le sujet dans les entreprises. La CFDT plaide quant à elle pour la signature d’un accord national interprofessionnel sur l’IA au travail.

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