Face aux menaces d’un retour en arrière, les acteurs français de la transition durable se mobilisent pour tenter de sauver la CSRD, la directive sur le reporting de durabilité des entreprises. Le Collège des directeurs du développement durable (C3D), qui réunit près de 400 directeurs de la responsabilité sociale des entreprises de grandes entreprises françaises comme Carrefour, EDF, Bouygues, ou encore La Poste vient en effet de rédiger une lettre à l’intention de la Commission européenne, lui demandant de maintenir un cap ambitieux sur la directive. Une réponse aux propositions de moratoire sur la CSRD qui se multiplient depuis quelques semaines, et à la demande officielle formulée par le chancelier allemand de revenir sur la directive. Pierre angulaire du Green Deal européen, la CSRD demande notamment aux grandes entreprises opérant dans l’Union européenne de présenter chaque année un reporting de leurs impacts extra-financiers, afin de disposer d’un tableau de bord pertinent pour effectuer leur transition vers des modèles d’affaires plus durables et alignés avec les limites planétaires.
Une obligation qui a suscité les réticences de certains acteurs économiques, qui la perçoivent comme un fardeau administratif. Interrogée par Novethic, une source du Collège des directeurs du développement durable confirme la rédaction de la lettre, qui ne sera pour l’instant pas diffusée. Selon les informations de l’agence de presse Bloomberg, l’organisation a souhaité rappeler aux instances européennes que les règlementations comme la CSRD, la taxonomie ou encore la directive européenne sur le devoir de vigilance sont “des outils essentiels pour garantir que les entreprises européennes soient préparées aux risques ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance, ndlr) et puissent prospérer dans une économie mondiale compétitive.”
Retarder l’obligation d’audit
Un rappel salutaire alors que doivent s’ouvrir, d’ici fin février, les négociations autour d’une législation omnibus ayant pour but de renégocier et “simplifier” la directive sur le reporting. Le C3D rappelle ainsi que “de nombreuses entreprises ont déjà fait des progrès significatifs en s’alignant sur ces cadres”. L’association professionnelle considère également qu’“un moratoire ou un retour en arrière risque de favoriser une culture du retard” sur l’intégration des enjeux extra-financiers en Europe, à l’heure où la transformation durable apparaît comme un impératif pour la viabilité économique du continent. Si le C3D reconnaît “des inquiétudes légitimes, en particulier de la part des entreprises qui passent d’une absence de responsabilité ESG à des exigences strictes en matière de durabilité”, il espère pouvoir infléchir la dynamique de backlash qui frappe les instances européennes.
Parmi les propositions évoquées dans la lettre, selon Bloomberg : le décalage de l’obligation d’audit des reportings. Une proposition qui permettrait d’alléger la charge administrative pour les entreprises dans les premières années d’entrée en vigueur de la CSRD, alors que les discussions se tendent déjà entre les entreprises et leurs auditeurs, accusés d’encourager le sur-reporting. Le C3D propose également de simplifier les exigences de reporting pour les PME, une demande de longue date du patronat et des experts du secteur. L’organisation préconise en revanche de maintenir voire de renforcer les obligations, notamment en encourageant la transformation durable des modèles d’affaires, et en appliquant plus rapidement les normes de reporting aux entreprises extra-européennes.
Retard allemand
Le C3D n’est pas la première organisation à se mobiliser pour défendre les réglementations sur le reporting de durabilité. Fin décembre, le Collectif Ethique sur l’Etiquette, branche française de la Clean clothes campaign, avait également exhorté la Commission européenne à ne pas détricoter la réglementation, au risque de reculs en matière de droits des travailleurs, des droits humains et de l’environnement. Il y a quelques semaines, de nombreux acteurs économiques, dont le Mouvement Impact France, réseau patronal indépendant représentant les entreprises engagées dans la transformation durable, s’étaient eux-aussi mobilisés pour sauver la CSRD. Des acteurs français qui semblent plus prompts à se mettre en conformité que leurs voisins allemands, qui au contraire attaquent frontalement le Green Deal européen depuis plusieurs mois.
Au sein du C3D, une source explique ainsi à Novethic que les entreprises allemandes ont pris beaucoup de retard en matière de transformation durable et de RSE par rapport aux acteurs français, ce qui explique leurs inquiétudes. Mais en France, les acteurs du secteur semblent déterminés à ne pas laisser le retard allemand niveler les ambitions européennes de durabilité par le bas. Les débats risquent donc d’être âpres dans les prochains mois, alors que l’Allemagne s’enlise, comme la France, dans une crise politique profonde sur fond de difficultés économiques.