Publié le 4 novembre 2024

Selon un rapport de l’ONU, la recherche continuelle de performance économique serait en train de créer une “économie du burn-out”, qui dégrade profondément la santé mentale des travailleurs, notamment des plus pauvres. Pour en sortir, le rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté propose de mieux lutter contre les inégalités et la précarité, et de changer la culture du travail.

Et si notre système économique était en train de nous rendre fous ? Pour Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté, nos sociétés focalisées sur la performance économique contribuent en tout cas à mettre une pression toujours plus forte sur la santé mentale des travailleurs, notamment des plus pauvres. Après un premier rapport choc sur les limites de la croissance économique comme levier de lutte contre la pauvreté, Olivier de Schutter revient dans une nouvelle publication, sur les causes et les conséquences d’une crise majeure de santé publique au niveau mondial : le développement d’une économie du burn-out.

Les économies mondiales “obsédées par la croissance” auraient ainsi contribué au développement d’un “climat de compétition et de course à la performance”, responsable de la hausse d’un sentiment général d’anxiété au travail et de troubles mentaux, alerte ainsi le rapport d’Olivier De Schutter.

Monde de l’emploi, risques psycho-sociaux, précarité…

Le rapport pointe notamment le développement d’un système de management “post-fordiste” qui a considérablement accru la pression sur les travailleurs. “Charge de travail élevée, exigences de productivité accrue et manque de contrôle sur l’exécution des tâches sont autant de facteurs influant sur le stress et l’état de santé”, selon Olivier de Schutter. Le rapport reprend ainsi les travaux menés en sociologie du travail depuis une quinzaine d’années sur l’accélération et l’intensification du travail. Comme l’expliquent Corinne Gaudart, chercheuse au CNRS et Serge Volkoff, statisticien au CEET (Centre d’études de l’emploi et du travail), “le travail est de plus en plus organisé sur le modèle de la hâte”. Un modèle qui promeut l’enchaînement des tâches, le travail en flux tendu, et un management de la performance constant, symbolisé par l’omniprésence du reporting. Le rapport pointe également la “hausse des exigences professionnelles” combinées aux “imprécisions” dans la définition des tâches par les employeurs, et un manque d’écoute et de reconnaissance des salariés. Des tendances qui pèsent lourdement sur la santé mentale des travailleurs et provoquent anxiété, burn-outs, dépressions liées au travail.

Cette crise de la santé mentale au travail frappe particulièrement les travailleurs les plus précaires, “qui font face à une plus grande “charge mentale” pour joindre les deux bouts” mais subissent aussi la “stigmatisation, surtout dans les sociétés où les inégalités sont grandes”. Le rapport montre, en reprenant la littérature scientifique sur le sujet, comment les emplois précaires, instables, mal-rémunérés, contribuent à augmenter le taux de dépressions et de troubles de santé mentale chez les travailleurs, créant ainsi des trappes à pauvreté dont il devient très difficile de sortir. “Dans l’économie [des petits boulots] actuelle, on court parfois moins de risques de santé mentale en étant au chômage qu’en acceptant un emploi”, explique ainsi Olivier de Schutter.

Changer la culture du travail

Face à cette crise, le rapporteur spécial de l’ONU appelle notamment à “lutter contre les facteurs de fond à l’origine de la dépression et de l’anxiété, à savoir la pauvreté, l’isolement social et les inégalités qui entraînent un sentiment d’anxiété liée au statut”. Par la fourniture d’un revenu de base inconditionnel, ou le développement des aides sociales, les Etats pourraient ainsi contribuer à résorber en partie la crise de santé mentale produite par nos systèmes économiques, en luttant contre les inégalités et la précarité et en assurant une sécurité sociale et psychologique aux travailleurs pauvres les plus exposés. Mais il s’agit aussi pour les entreprises de changer la culture du travail. D’abord, en transformant le management, pour lutter contre “la fragmentation et l’inutilité du travail réalisé, la sous-utilisation des compétences” mais aussi contre les phénomènes de sur-contrôle managérial voire de harcèlement moral au travail. Le rapport invite également les entreprises à repenser “l’organisation du travail, les conditions d’emploi, la culture institutionnelle” pour redonner du pouvoir d’agir aux salariés, mais aussi à organiser des systèmes de rémunération plus justes et équitables dans leurs organisations.

En France, selon le rapport d’une mission d’information parlementaire sur le sujet, au moins 500 000 personnes étaient en situation de burn-out en 2015, un chiffre qui n’aurait fait qu’augmenter depuis, à la faveur de la conjonction des crises sanitaires, économiques et sociales. Les plus récents sondages montrent que près de 50% des travailleurs en France sont en situation de détresse psychologique liée à leur travail, et plusieurs millions seraient en situation ou en risque de burn-out. Un million de travailleurs seraient également en situation de précarité avec moins de 1000 euros de revenus par mois dans le pays, selon l’Observatoire des inégalités, un chiffre en hausse de près de 30% en 20 ans. Autant de signes qui montrent que la prévalence toujours plus forte de l'”économie du burn-out”.

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