Michel Barnier va-t-il proposer un moratoire sur les réglementations en matière de durabilité des entreprises, comme la directive sur le reporting ou encore le devoir de vigilance européen ? C’est en tout cas ce que laissent entendre ses récentes déclarations dans le Journal du Dimanche ce week-end. Le premier ministre s’y exprime sur la simplification réglementaire, notamment en matière de normes visant les entreprises, et évoque “un dispositif – une forme de moratoire par exemple – qui puisse reporter de deux ou trois ans les dates d’entrée en vigueur de réglementations très lourdes.”
Pour le Premier Ministre, “cela vaut en particulier pour des textes européens comme la directive CSRD dont il convient de réexaminer la portée”. La CSRD, qui oblige les grandes entreprises à publier à partir de janvier prochain un reporting détaillé de leurs impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance est l’une des pierres angulaires de la transformation durable des entreprises dans le cadre du Green Deal européen. C’est la première fois qu’un chef de gouvernement français remet en cause aussi frontalement le Green Deal européen.
Moratoire sur la CSRD et remise en cause du Green Deal
Contacté par Novethic, Arnaud Gossement, avocat spécialisé dans le droit de l’environnement et de la durabilité, assure pourtant que la proposition tient de l’élément de langage : “Juridiquement, un moratoire ça ne veut rien dire dans ce contexte, car la France est engagée, et sous le contrôle du juge, elle est obligée transposer les directives et appliquer les règlements européens” explique-t-il. Sur le plan juridique, il serait donc très complexe, voire impossible, pour le Premier ministre de décaler l’application de la CSRD ou de transformer ses conditions de mise en œuvre, sans se placer en porte à faux vis-à-vis du droit européen et des engagements pris par la France. Alors que la Cour de Justice de l’Union Européenne a lancé il y a quelques jours une procédure contre 17 Etats européens qui n’avaient pas encore transposé la CSRD, l’annonce tombe mal.
La proposition serait même “dangereuse”, selon Arnaud Gossement, car elle “laisse croire aux entreprises qu’elles n’auront peut-être pas à appliquer ces normes, ce qui est impossible.” En créant de l’incertitude sur le climat juridique, la proposition pourrait amener les acteurs économiques à prendre du retard dans leur mise en conformité, et à se retrouver alors en situation de risque juridique si elles n’ont pas mis en œuvre les mesures adéquates. Alors que, selon un sondage PwC, la majorité des entreprises européennes considèrent aujourd’hui la CSRD non pas comme un fardeau administratif et réglementaire, mais comme une opportunité de transformer durablement leurs modèles d’affaires, la remise en cause de la CSRD apparaît en effet “contre productive”. “Il y a des réglementations à simplifier évidemment, notamment en matière d’économie circulaire, de développement de l’éolien, mais il faut surtout de la prévisibilité, de la stabilité dans les normes et des calendriers clairs pour que les entreprises puissent avancer” explique Arnaud Gossement. “Ce n’est pas avec ce genre d’annonces qu’on créé ce climat de stabilité” conclue-t-il.
Des attaques qui se multiplient
Cette annonce intervient dans un climat particulièrement hostile pour les normes environnementales en France et en Europe. Décalage des obligations en matière de diagnostic énergétique des bâtiments il y a quelques jours, réductions des budget liées à la transition écologique dans le projet de budget pour 2025… à l’heure où les conséquences de l’urgence écologique et sociale sont pourtant plus que jamais visibles, le gouvernement a multiplié les attaques ces dernières semaines.
En septembre dernier, c’est le très attendu rapport Draghi qui proposait d’alléger la réglementation visant la transformation durable des entreprises pour favoriser la compétitivité. “Le cadre de l’UE en matière de reporting sur la durabilité et de vigilance raisonnable constitue une source majeure de fardeau réglementaire”, expliquaient ainsi les fonctionnaires de la Commission Européenne dans le rapport, pointant du doigt des réglementations qui se chevauchent, et le “manque d’orientations visant à faciliter l’application de règles complexes et à clarifier l’interaction entre les différents textes législatifs.” Marco Buschmann, le ministre allemand de la justice issu du Parti libéral-démocrate (FDP), proposait également il y a quelques semaines de “renégocier” la directive CSRD. Cette réglementation cruciale va-t-elle résister à ces vents contraires ? C’est toute la question.