S’il y a bien une chose que nous n’avons pas l’impression de gaspiller ce sont les mètres carrés. Il faut dire qu’à près de 10 000 euros dans les logements à Paris par exemple, on ne dépense pas vraiment sans compter. Et pourtant des élus, des associations, des experts et des citoyens se font les porte-voix d’une nouvelle cause : la lutte contre le gaspillage immobilier. De quoi s’agit-il ?
L’idée est simple : partout en France nos mètres carrés ne sont pas assez utilisés, pas aussi rentabilisés qu’ils pourraient l’être. Les données manquent au niveau national mais on estime par exemple que les bureaux d’entreprises sont occupés environ 30% du temps (ce qui correspond à environ 10 heures par jour, cinq jours par semaine) et c’est pire pour les écoles qui descendent à 20%. C’est sans compter les logements vacants, les bureaux non utilisés, les friches industrielles ou les résidences secondaires pour lesquels les taux d’occupation s’approchent dangereusement de 0%.
Et pourtant on connaît le problème : construire des nouveaux mètres carrés c’est cher, cela émet du CO2 et cela empiète sur le vivant si on artificialise des sols. La France a passé sa fameuse loi ZAN (Zéro Artificialisation Nette) pendant que certains appellent même pour tenir nos engagements climat au Zéro Artificialisation Brute.
4,5 millions de mètres carrés de bureaux vides en Ile-de-France
Alors que peut-on faire ? D’abord il y a le sujet des bureaux et logements vacants qui fait l’objet de beaucoup de discussions politiques. Environ 3 millions de logements vacants en France, 4,5 millions de mètres carrés de bureaux vides pour la seule Ile-de-France (l’équivalent de 90 000 logements de 50 m2). C’est considérable bien sûr mais vous allez voir que si on fait la “chasse au gaspi” immobilier, l’essentiel est ailleurs.
Car dans toutes nos entreprises qui occupent bel et bien leurs bureaux, se trouvent des centaines de millions de mètres carrés inutilisés toutes les nuits (et souvent le week-end). Des associations comme les Bureaux du Cœur leur permettent d’accueillir pour quelques mois une personne en réinsertion qui occupe uniquement la nuit une salle de réunion transformée en chambre de manière provisoire avec un canapé lit par exemple. L’association agit comme un tiers de confiance et réduit le risque pour l’entreprise. Le modèle est éprouvé et fonctionne : à quand une loi qui rendrait cela obligatoire pour les entreprises ?
Il y a aussi des mesures portées notamment par l’élue PS du 12ème arrondissement de Paris, Eléonore Slama, qui semblent relever du bon sens économique pour les entreprises. Vous avez des mètres carrés 24h/24, rentabilisez-les ! Les idées ne manquent pas : des places de stationnement occupés le jour qui peuvent être proposées aux riverains la nuit, des restaurants d’entreprises qui pourraient se transformer en brasserie le soir venu ou des auditoriums vides qui pourraient servir de salles de spectacles. Les écoles pourraient aussi devenir le week-end et pendant les vacances scolaires des lieux de loisir ou de culture, comme des bibliothèques, pour permettre aux étudiants de réviser.
Faire naître des modèles économiques rentables
Ne soyons pas naïfs, si c’était aussi simple cela serait déjà fait. Mais ces surfaces existent, elles ne sont aujourd’hui pas du tout utilisées et il est possible de faire naître des modèles économiques rentables. Et la contrainte sera salvatrice : plus les mètres carrés seront précieux plus leur utilisation marginale sera rationnelle économiquement.
Et puis il y a l’éléphant dans la pièce, mais aussi le sujet le plus sensible : les logements “sous-occupés”. Ce sont des résidences principales habitées par peu de personnes. On parle de logement sous-occupés quand il y a au moins trois pièces de plus que le nombre d’occupants : un cinq pièces avec deux habitants, un six pièces avec trois habitants, etc. Et c’est loin d’être anecdotique. Dans La ville stationnaire (Actes Sud), Philippe Bihouix, Sophie Jeantet et Clémence de Selva dénombrent un total de 8,5 millions de résidences principales sous-occupées. A comparer aux 3 millions de logements vacants sur le territoire.
Argument supplémentaire : les logements sous-occupés sont, par définition, au minimum des 4 pièces, ils sont donc plus grands, en moyenne, que les logements vacants et constituent un vivier précieux pour des usages familiaux. Ici non plus il n’y aura pas de solutions “faciles” et il ne s’agit pas d’exproprier des retraités qui vivent encore dans leur grand appartement familial une fois leurs enfants partis. En revanche il est permis de se demander si, à l’échelle nationale, des dispositifs fiscaux pourraient inciter à une meilleure adéquation entre la taille d’un logement et son nombre d’occupants tout au long de sa vie (on a bien permis aux communes d’appliquer une taxe d’habitation plus élevée sur les résidences secondaires).
Les mètres carrés, une marchandise ou une ressource ?
Pour reprendre le parallèle du titre de cet article, on voit émerger des modalités innovantes sur le prix de l’eau. Par exemple avec la tarification dite progressive, les premiers mètres cubes – essentiels pour vivre – sont facturés à un prix bas mais plus on consomme plus l’utilisation jugée “de confort” de l’eau est chère. Peut-être un jour verra-t-on cela aussi dans l’immobilier pour accompagner un usage raisonné des logements ou des bureaux ?
Comme pour l’eau la question se posera en des termes finalement assez simples : les mètres carrés sont-ils une marchandise ou une ressource ? Si c’est une marchandise comme une autre alors les effets d’échelles s’appliquent, plus on en achète moins ça coûte cher. Si c’est une ressource commune à préserver alors, au contraire, le modèle de prix doit nous inciter à ne pas en consommer trop. A l’heure de la fin de l’abondance, la seconde option semble raisonnable, mais cela serait une sacrée révolution sur le marché immobilier.