Twitter ne chante plus au Brésil. Lundi 2 septembre la Cour suprême a décidé de suspendre le réseau social X (anciennement Twitter) pour avoir ignoré une série de décisions judiciaires liées à la lutte contre la désinformation. Concrètement, le juge Alexandre de Moraes, très influent au Brésil, avait donné 24 heures à la plateforme pour nommer un représentant légal dans le pays, sous peine de blocage. Après le rejet de l’ultimatum, il a décidé la “suspension immédiate, complète et intégrale” du réseau au Brésil. “Elon Musk (propriétaire de X, NDR) a démontré son manque total de respect pour la souveraineté brésilienne et, en particulier, pour le pouvoir judiciaire, en se positionnant comme une véritable entité supranationale, immunisée contre les lois de chaque pays”, a déclaré le juge Moraes. Quatre magistrats de la Cour suprême ont confirmé en session virtuelle la sanction prise.
Le réseau a commencé à être bloqué dans le pays aux premières heures de samedi. Ce n’est pas la première fois que la menace de suspension est exercée pour un réseau social. Telegram avait aussi été épinglé, mais le milliardaire russe Pavel Durov avait plié face à la pression. Or Elon Musk ne semble pas enclin à suivre le même chemin.
L’alliance des conservateurs
“La liberté d’expression est le fondement de la démocratie et, au Brésil, un pseudo-juge non élu est en train de la détruire à cause de motivations politiques”, a tonné le milliardaire américain. Ce dernier a ainsi appelé les utilisateurs à contourner l’interdiction en utilisant des VPN, des réseaux privés virtuels permettant d’accéder à X. Une pratique passible de 8 000 euros d’amende selon le quotidien britannique The Independant. Or, les experts notent une explosion de leur utilisation dans un pays qui compte 22 millions d’usagers à X, soit 10% de la population.
𝕏 is the most used news source in Brazil. It is what the people want.
Now, the tyrant de Voldemort is crushing the people’s right to free speech. https://t.co/gR8aq3JzzU
— Elon Musk (@elonmusk) August 31, 2024
Ce qui se joue derrière ce bras de fer est éminemment politique. La justice avait en effet demandé à X de bloquer des comptes diffusant des fausses informations et menaçant ainsi la démocratie. Des comptes pour la plupart pro-Bolsonaro, du nom de l’ancien président brésilien. Or Elon Musk est proche idéologiquement de Jaïr Bolsonoro, qui l’a publiquement soutenu dans son duel avec le juge Moraes. Des faits qui rappellent la relation entre Elon Musk et l’ancien président des Etats-Unis, Donald Trump, qui forment désormais une alliance contre, notamment, le “wokisme”. Elon Musk a ainsi annoncé donner environ 45 millions de dollars par mois pour soutenir le Républicain dans la course à la Maison Blanche.
Boycott des annonceurs et douche froide pour les investisseurs
Ces controverses ont-elles un impact sur X ? Oui, et surtout sur ses finances. Depuis le rachat de X par Elon Musk en 2022, le groupe a perdu jusqu’à 72% de sa valeur selon les comptes du gérant Fidelity. En novembre 2023, face aux multiples controverses déclenchées essentiellement par Elon Musk (soutien à des messages antisémites, usage de drogue, licenciement abusif, etc.) plusieurs annonceurs avaient décidé de quitter le navire pour ne pas entacher leur réputation.
Parmi eux Disney, IBM, Sony ou encore Apple. “S’ils pensent pouvoir me faire chanter avec de la publicité, avec de l’argent, qu’ils aillent se faire foutre. Ne faites pas de publicité“, avait alors déclaré Elon Musk avant de mentionner directement Bob Iger, le PDG de Disney. Son refus de céder à la justice brésilienne pourrait à nouveau impacter lourdement les revenus publicitaires de X. D’autant qu’aux Etats-Unis, la plateforme a entamé un bras-de-fer avec plusieurs anciens annonceurs pour “boycott illégal et systématique”. “Ils se sont entendus pour boycotter X, ce qui remet en cause nos capacités de développement à l’avenir. Aucun petit groupe de personnes ne devrait avoir la possibilité de monopoliser ce qui peut être monétisé”, a dénoncé la directrice générale de X, Linda Yaccarino visant notamment Mars, Unilever ou Orsted. En seulement un an, de novembre 2022 à novembre 2023, la plateforme a perdu 60% de ses revenus publicitaires.
Pour les investisseurs, les pertes sont vertigineuses. Selon les calculs du journal The Washington Post, les huit plus gros investisseurs (hormis Elon Musk) ont perdu collectivement plus de 5 milliards de dollars : 720 millions de dollars pour le cofondateur et ancien PDG de Twitter Jack Dorsey, 1,36 milliard de dollars pour le prince Alwaleed bin Talal, 720 millions pour Larry Ellison, cofondateur et président du conseil d’administration d’Oracle. Le pire étant Elon Musk lui a même qui a perdu plus de 24 milliards de dollars ! Le patron de SpaceX s’était engagé à hauteur de 33,5 milliards de dollars en 2022 via sa fortune personnelle et des actions de Tesla. Jusqu’où les investisseurs suivront l’homme d’affaire ? Les banques en tout cas s’en mordent les doigts. Le Wall Street Journal a qualifié le rachat de Twitter en 2022 comme la pire opération de financement pour les banques depuis la grande crise de 2009.