Publié le 1 août 2024

Greenpeace International pourrait être la toute première ONG à utiliser la directive européenne contre les procédures-bâillons, alors qu’elle est visée par un recours pour sa mobilisation contre l’oléoduc Dakota Access aux Etats-Unis.

A peine entrée en vigueur et déjà activée. La directive européenne contre les procédures-bâillons, adoptée en avril dernier, est brandie par Greenpeace International contre Energy Transfer, propriétaire de l’oléoduc Dakota Access (DAPL). L’entreprise pétrolière américaine poursuit l’ONG pour sa participation, dans les années 2016 et 2017, à la mobilisation contre la construction de cet oléoduc géant qui traverse une réserve Sioux, dans le nord des Etats-Unis, et lui demande au moins 300 millions de dollars de dommages. Une “procédure-bâillon”, dénonce Greenpeace International qui serait la toute première ONG à utiliser ce nouvel outil juridique de protection de la liberté d’expression.

“L’action en justice d’Energy Transfer illustre exactement ce que la directive européenne vise à empêcher : l’utilisation par de grandes entreprises d’outils juridiques engendrant des coûts considérables pour les entités ciblées, afin de museler la critique”, a déclaré Daniel Simons, conseiller juridique principal de Greenpeace International. “Une victoire juridique pour Energy Transfer pourrait s’avérer fatale pour Greenpeace aux États-Unis, mais aussi créer un dangereux précédent pour toute personne qui critiquerait les activités climaticides d’une entreprise aux moyens financiers considérables…”, alerte l’ONG dans un communiqué de presse.

“Ce que veut Energy Transfer, c’est étouffer toute contestation”

Baptisé “serpent noir” par les peuples autochtones, cet oléoduc de près de 2 000 kilomètres destiné à transporter le pétrole produit dans l’ouest du Dakota du Nord jusque dans l’Illinois, a mobilisé des milliers de militants du monde entier pour préserver l’environnement, l’eau et l’héritage amérindien. Le projet, suspendu par Barack Obama, a été relancé par Donald Trump, un proche de Kelcy Warren, le PDG d’Energy Transfer, qui avait fait un don de 250 000 dollars à l’occasion de son investiture. L’oléoduc a finalement vu le jour en juin 2017, mais le peuple sioux de Standing Rock continue d’exiger l’arrêt de l’oléoduc et la réalisation d’un examen environnemental en bonne et due forme.

Dans sa plainte, déposée en août 2017 au niveau fédéral contre Greenpeace et d’autres organisations, Energy Tranfer s’appuie sur la loi contre le racket et la corruption, qui vise à lutter contre la criminalité organisée et la mafia. L’entreprise estime que Greenpeace a “fabriqué et diffusé des informations matériellement fausses et trompeuses sur Energy Transfer et le Dakota Access Pipeline dans le but d’inciter frauduleusement à des dons, d’interférer avec les activités de construction du pipeline et de nuire aux relations commerciales et financières essentielles d’Energy Transfer”. La plainte allègue également que l’ONG a “incité, financé et facilité des crimes et des actes de terrorisme pour atteindre ces objectifs”. L’entreprise met en avant des “centaines de millions de dollars de dommages” ainsi qu’une “atteinte à sa réputation”. Le juge fédéral ayant rejeté cette poursuite en 2019, Energy Transfer s’est tournée vers la justice locale de l’État du Dakota du Nord. Le procès devrait avoir lieu en février et mars 2025.

De son côté, l’ONG nie avoir fait partie des organisateurs des manifestations de Standing Rock ou participé à la destruction de biens ou à des actes de violence. Elle affirme avoir simplement signé, avec 500 autres organisations, une lettre ouverte pour exhorter les banques à ne pas financer le projet. “Les déclarations de solidarité avec le peuple sioux auxquelles a pu adhérer Greenpeace, qualifiées de “diffamatoires” par Energy Transfer, relève nt du droit à la liberté d’expression, protégé par la Constitution des États-Unis. Le droit de la société à s’exprimer sur des sujets qui concernent l’intérêt général ne doit pas être bafoué ou limité, même lorsque ce n’est pas du goût d’entreprises aux poches bien remplies”, se défend Greenpeace. “Ce que veut Energy Transfer, ce n’est pas obtenir justice : c’est étouffer toute contestation“, ajoute-t-elle.

Des procédures-bâillons en hausse

Le 23 juillet dernier, Greenpeace International a donc envoyé une lettre de mise en demeure à Energy Transfer pour lui demander de retirer les poursuites à son encontre. A défaut, l’organisation, dont le siège est situé aux Pays-Bas, aura recours à la directive européenne contre les procédures-bâillons. Reste que Greenpeace USA, qui n’est pas protégé par ce texte, pourrait bien disparaître. Le verdict, livré par un jury citoyen, risque en effet de favoriser Energy Transfer alors que l’industrie pétrolière est un important pourvoyeur d’emplois dans la région où les électeurs ont majoritairement voté pour Trump en 2020.

Dans le pays, depuis 2016, des lois anti-manifestation contre les énergies fossiles ont été promulguées dans pas moins de 18 États américains. Et dans le monde, les procédures-bâillons sont en hausse. L’ONG Business & Human Rights Resource Center a recensé, en 2021, 355 cas s’apparentant à des procédures-bâillons depuis 2015. Ces procès d’intimidation ont été intentés par des acteurs du monde des affaires contre des organisations, des individus ou des groupes liés à la défense des droits humains ou de l’environnement. En Europe, on dénombrait 820 poursuites-bâillons au mois d’août 2023, dont 161 lancées en 2022, selon le dernier rapport de la Coalition Against SLAPPs in Europe (CASE).

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