Publié le 7 juillet 2024

L’huile de cuisson usagée importée depuis la Chine et la Malaisie pour produire des carburants aériens durables en Europe pourrait en réalité être de l’huile de palme et contribuer à la déforestation. C’est la conclusion d’une analyse de l’ONG Transport & Environment, qui alerte sur les dérives liées à l’explosion de la demande en biocarburants. Novethic vous propose désormais chaque semaine un “pas de côté” sur l’actu.

L’huile ayant servi à faire dorer vos frites pourrait se retrouver dans les réservoirs d’un avion. C’est du moins ce qu’espèrent les compagnies aériennes, qui misent sur cette ressource pour s’approvisionner en biokérosène, un carburant aérien durable (SAF). Alors que le secteur de l’aviation entame sa décarbonation, les huiles de cuisson usagées (UCO) sont aujourd’hui massivement collectées pour répondre à des besoins en pleine explosion : 130 000 barils sont consommés chaque jour en Europe.

Incapable de fournir une telle ressource, le Vieux-Continent importe aujourd’hui 80% des huiles utilisées pour fabriquer du biocarburant sur son territoire, notamment depuis la Chine et la Malaisie. Un marché qui pourrait, selon l’ONG Transport & Environment (T&E), dissimuler une importante fraude à l’huile de palme, d’après une analyse publiée au mois de juin dernier. En Malaisie, les quantités d’UCO exportées sont ainsi trois fois supérieures aux quantités collectées. “Cela prouve avec une quasi-certitude qu’il existe une fraude à grande échelle dans ce pays”, assure dans le rapport Jérôme du Boucher, responsable aviation pour T&E.

La Chine sous le coup d’une enquête

“La Malaisie étant l’un des plus grands producteurs d’huile de palme, tout laisse à penser qu’une grande partie de la soit-disante huile de cuisson usagée est en réalité de l’huile de palme, dont la culture accroît la déforestation”, explique l’expert. A noter que l’Europe a acté depuis 2018 l’arrêt progressif de l’usage de l’huile de palme dans la production de biocarburants. En outre, un accord signé en avril 2023 exclut les sous-produits de l’huile de palme, ces derniers n’étant “pas conformes aux critères de durabilité” selon le Parlement européen.

Du côté de la Chine, qui fournit 40% des ressources en UCO d’Europe, la situation est moins ostensible mais les doutes portant sur un potentiel trafic persistent. Si les données semblent à première vue cohérentes, elles devraient en réalité marquer un écart entre collecte et exportations à l’étranger. Une partie des huiles de cuisson sont en effet consommées via un marché intérieur illégal selon T&E. Un usage local qui ne ressort pas lors de l’analyse menée par l’ONG, qui suggère qu’“une partie des exportations chinoises pourraient donc être composées d’huiles vierges végétales”.

Une hypothèse sur laquelle enquête la Commission européenne dans le cadre d’une investigation entamée en décembre dernier. Elle fait suite à des signalements de la part de plusieurs acteurs du marché, dont la European Waste-based & Advanced Biofuels Association (Ewaba). Dans une lettre ouverte partagée en juin 2023 par l’AFP, l’organisation relève une “flambée des exportations chinoises de biocarburant, avec des volumes jugés potentiellement frauduleux”. Un problème qui pourrait s’aggraver sans action de l’Europe, estime T&E.

L’huile usagée n’est pas “une solution miracle”

La demande de carburants aériens durables, dont le biokérosène fait partie, va s’accroître dans les prochaines années, le secteur aérien cherchant à répondre aux objectifs fixés par l’UE. Ceux-ci prévoient que tous les vols au départ du territoire européen intègrent une part minimale de SAF de 2% à partir de 2025. Un pourcentage qui devra augmenter progressivement, jusqu’à 20% en 2035, puis 70% en 2050. Peu chères, les huiles de cuisson usagées représentent l’une des solutions de court terme privilégiées par les compagnies aériennes pour le raffinage de biocarburant.

Atteindre le cap définit par l’Europe par ce biais impliquerait néanmoins une consommation dépassant le potentiel maximal de collecte de ces ressources, selon T&E. “Même en récupérant 100% de l’huile usagée, l’Europe ne pourra jamais en avoir assez pour faire voler tous ses avions. Même en rajoutant les exportations, il ne sera pas possible de décarboner en même temps l’aviation, les voitures et les camions du continent, alerte Jérôme du Boucher. [L’huile usagée] ne pourra jouer qu’un rôle limité et en aucun cas être une solution miracle”.

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