Publié le 2 juillet 2024

En pleine crise après des séries de défaillances techniques, Boeing vient d’annoncer réintégrer son fournisseur Spirit AeroSystems. Un rapprochement qui marque un revirement dans la stratégie d’externalisation du groupe.

20 ans. Près de 20 ans après, Boeing rachète Spirit AeroSystems, son fournisseur responsable des activités de production de fuselages, dont il s’était séparé en 2005. Par un communiqué, l’avionneur américain, embourbé dans une crise de sécurité inédite depuis quelques années, a ainsi annoncé ré-internaliser l’essentiel des activités de son fournisseur basé à Wichita (Kansas), pour un coût total de près de 8,3 milliards de dollars, dont 3,6 milliards pour le rachat de la dette de Spirit.

“Nous pensons que cet accord est dans le meilleur intérêt des voyageurs, de nos clients aériens, des employés de Spirit et de Boeing, de nos actionnaires et du pays dans son ensemble”, a déclaré dans un communiqué Dave Calhoun, président-directeur général de Boeing sur le départ, qui doit être remplacé d’ici la fin de l’année. Airbus de son côté, va racheter pour un euro symbolique les usines de Spirit AeroSystems situées en Irlande du Nord, et qui produisent notamment les ailes et le fuselage de son avion A220. Le producteur européen devrait également percevoir de Boeing une compensation financière de 559 millions de dollars.

Un retour en arrière

Ce rachat, en discussion depuis plusieurs mois, vise notamment à restaurer la confiance après la grave crise de sécurité que traverse l’avionneur depuis le début de l’année. Spirit Aerosystems était en effet largement impliqué dans la série de défaillances techniques qui ont affecté les avions Boeing ces derniers mois : boulons de sécurité mal vissés, portes arrachées en plein vol, assemblage défectueux… Boeing, sous le coup d’une enquête de la sécurité aérienne américaine, avait déjà multiplié les efforts ces dernières semaines pour tenter de restaurer des niveaux acceptables de qualité industrielle, notamment chez Spirit, en y déployant plus de 150 salariés. Une manière, selon Elizabeth Lund, vice-présidente de Boeing chargée de la qualité nommée en début d’année, d’“identifier les problèmes systémiques” compromettant la qualité de la production. En actant le rachat de Spirit, Boeing confirme donc cette reprise en main.

Mais il s’agit surtout pour l’avionneur américain d’un retour en arrière majeur en matière d’organisation industrielle. Depuis le début des années 2000, le groupe avait en effet opté pour une stratégie de réduction massive des coûts, axée notamment sur l’externalisation généralisée des productions. Boeing avait ainsi décidé de céder plusieurs filiales, dont l’emblématique Spirit AeroSystems (à l’époque appelée Wichita Division). Cette stratégie visant à maximiser la valeur financière de Boeing est aujourd’hui largement pointée du doigt dans la crise que traverse le groupe, et elle avait d’ailleurs été “dénoncée de longue date par les ingénieurs de Boeing, car elle négligeait la performance industrielle, la qualité et la sécurité”, comme l’explique à Novethic Mustafa Erdem Sakinç, maître de conférences en économie à l’Université Sorbonne Paris Nord. Face à la multiplication des accidents et problèmes techniques, Boeing a dû se résoudre à rétropédaler.

Sortir de la crise et éviter les poursuites

Le rapprochement intervient dans un contexte particulièrement difficile pour le constructeur américain. Depuis le début de l’année, Boeing n’en finit plus de gérer les conséquences des défaillances techniques de ses avions. Le cours de bourse de l’entreprise a ainsi perdu près de 30% de sa valeur, et lors de son assemblée générale en mai dernier, Boeing avait été largement chahuté par ses actionnaires : plus de 30% d’entre eux s’étaient opposés à la reconduction des équipes dirigeantes chargées de la sécurité ainsi qu’à la rémunération du PDG Dave Calhoun.

Outre les enquêtes menées par l’administration fédérale américaine de l’aviation, Boeing fait aussi l’objet d’une commission d’enquête du Sénat américain, qui vise à identifier la responsabilité du groupe dans les crashs de deux avions Boeing en 2018 et 2019, qui avaient coûté la vie à 346 personnes. Pour éviter les poursuites, l’avionneur avait signé en 2021 un accord avec les autorités américaines, en s’engageant à mettre en œuvre un programme de sécurité renforcée pour ses avions. Face aux défaillances enregistrées depuis le début de l’année, le ministère de la Justice américain semble aujourd’hui considérer que cet accord n’a pas été respecté, et propose un nouvel accord de plaidoyer à Boeing. Plus que jamais, et malgré les tentatives de désamorcer la crise, le groupe vole donc en pleine tempête.

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