Publié le 22 mai 2024

L’AG de Shell donne un aperçu des pressions qui pèsent sur les majors pétrolières. Des dizaines d’actionnaires ont exprimé leur mécontentement après le revirement de la major sur ses ambitions climatiques, des manifestants ont interrompu la réunion et 19% des actionnaires ont voté en faveur d’un meilleur alignement avec l’Accord de Paris.

L’assemblée générale de Shell, mardi 21 mai, a donné le ton pour le secteur pétrolier. Pendant près de trois heures, les dirigeants de la major anglo-néerlandaise ont dû répondre à des dizaines de questions d’actionnaires portant quasi exclusivement sur sa stratégie climatique. L’entreprise était visée par une résolution, déposée par Follow this, et soutenue par 27 investisseurs, qui lui demandait d’aligner ses objectifs de réduction d’émissions pour le scope 3 (émissions indirectes) sur l’Accord de Paris. Elle a recueilli 19% des voix, soit un score à peu près équivalent à celui obtenu l’an dernier (20%).

“Dans une démocratie actionnariale, où généralement 99% votent avec la direction, 19% c’est une rébellion claire des actionnaires, qui pèsent plus que vos plus gros investisseurs BlackRock, Vanguard, State Street et Norges Bank réunies”, a lancé Mark van Baal, fondateur du groupe d’actionnaires verts Follow This lors de l’assemblée générale. “Aujourd’hui, ils ont envoyé une onde de choc sur l’ensemble de l’industrie, car de plus en plus d’actionnaires demandent aux majors pétrolières d’être alignées sur l’Accord de Paris”, a-t-il également commenté.

“Shell kills”

En outre, la stratégie climatique de Shell, dont l’ambition a été revue à la baisse, a été rejetée par 22% des actionnaires, contre 20% l’an dernier. Ce qui témoigne d’une ligne de fracture claire au sein des investisseurs. En vertu du code de gouvernance d’entreprise britannique, Shell est dès lors tenu de rendre compte des mesures prises dans les six mois suivant l’obtention d’au moins 20% des voix contre l’avis de la direction lors d’une assemblée générale, rappelle Follow This.

Après avoir renoncé à réduire sa production pétrolière de 1 à 2 % par an, la major avait annoncé en mars dernier viser une réduction non plus de 20% mais de 15 à 20% de l’intensité carbone nette de ses produits énergétiques d’ici 2030. Elle a également abandonné son objectif de réduction des émissions de 45% à 2035, tout en affirmant vouloir atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Une stratégie dénoncée par de nombreux investisseurs qui s’inquiètent d’un tel revirement. Ils pointent également du doigt le discours de Shell autour du gaz naturel liquéfié (GNL) comme énergie bas-carbone et solution “indispensable” à la transition énergétique.

Des militants de Fossil Free London ont par ailleurs interrompu la réunion. Ils ont commencé à interpréter Jolene de la chanteuse country Dolly Parton, en chantant “Shell kills, Shell kills, Shell kills, Shell kills”, pour protester contre la pollution dans le delta du Niger, pour laquelle Shell a été reconnue responsable.

Le PDG de Shell, Andrew Mackenzie, n’a eu de cesse de répéter que le monde avait besoin d’une “transition énergétique équilibrée” et que les investissements dans le pétrole et le gaz devaient “se poursuivre pour répondre aux besoins de millions de personnes qui n’ont toujours pas accès à l’électricité“, en parallèle d’un soutien aux énergies bas-carbone. “Même s’il peut être tentant de cesser d’utiliser le pétrole et le gaz avant que le monde ne soit prêt, nous ne devons pas le faire au détriment des besoins énergétiques et des aspirations des populations mondiales”, a-t-il déclaré tandis que dans la salle un manifestant qualifiait ce discours de “greenwashing”. L’entreprise avait ainsi appelé à voter contre la résolution de Follow this, une résolution mauvaise selon elle “pour l’environnement, les consommateurs et les investisseurs”. 

L’AG de Total s’annonce agitée elle-aussi

Ces dernières années, les assemblées générales des majors pétro-gazières sont l’occasion pour les actionnaires de faire entendre leurs voix – et leurs divergences – sur les questions climatiques. Une étude de Follow This, publiée début mai, montre ainsi que de plus en plus d’investisseurs votent contre la direction et ne suivent pas toujours les deux plus grandes sociétés de conseil en vote, ISS et Glass Lewis, lorsqu’il s’agit de votes sur le climat. “Ces dernières années, les investisseurs sont de plus en plus insatisfaits des conseils de procuration et prennent leurs propres décisions sur les résolutions climatiques, ce qui a entraîné une augmentation des votes de 2,7 % à 20% chez Shell, malgré les appels à voter contre d’ISS et de Glass Lewis”, note Mark van Baal.

Avant les AG d’Exxon et Chevron le 29 mai prochain, celle de TotalEnergies retiendra particulièrement l’attention vendredi 24 mai. Alors que l’année dernière, des centaines de militants avaient tenté de bloquer l’accès de la réunion salle Pleyel, en plein cœur de Paris, Extinction Rebellion annonce une action incluant “différents niveaux de spectaculaire”. L’AG se tiendra quant à elle au siège de la major, à La Défense. Aucune résolution climatique n’a été déposée cette année, les actionnaires ayant choisi de changer de stratégie. Ils demandent que les fonctions de Patrick Pouyanné, le PDG du groupe, soient scindées en deux pour que soit nommé un président du Conseil d’administration en plus du directeur général, dans l’espoir de donner plus de place au dialogue sur le climat au sein du Conseil. Mais alors que le groupe a refusé d’inscrire cette résolution à l’ordre du jour, ils ont porté l’affaire devant la justice et annoncé qu’ils voteraient contre la réélection de Patrick Pouyanné.

Selon un rapport de Big oil international, publié mardi 21 mai, aucune des huit majors pétrolières et gazières internationales – Chevron, ExxonMobil, Shell, TotalEnergies, BP, Eni, Equinor et ConocoPhillips –  n’a de plan climat qui est aligné sur l’Accord de Paris et encore moins sur la décision récente de la COP28 de sortir des énergies fossiles. Six d’entre elles (Chevron, ExxonMobil, TotalEnergies, ConocoPhillips, Equinor et Eni) ont même un objectif explicite d’augmenter la production de pétrole et de gaz à court terme. A elles seules, ces huit entreprises sont en passe d’utiliser 30% du budget carbone restant, soit les émissions de gaz à effet de serre que le monde peut rejeter, pour limiter la hausse de la température mondiale à 1,5°C.

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