Cinq euros, c’est la somme dont une partie des touristes venant découvrir Venise doivent désormais s’acquitter. Mise en place le 25 avril dernier, cette nouvelle taxe concerne uniquement les visiteurs à la journée, accédant au centre historique de la Cité des Doges et aux îles environnantes entre 8h30 et 16h. Les voyageurs résidant dans l’un des multiples hôtels de la ville, les travailleurs ou encore les proches des habitants en sont pour leur part exemptés. L’achat de ce “ticket d’entrée” ne sera cependant exigé que durant les jours de forte affluence, soit 29 jours pour l’année 2024.
La mesure, annoncée en 2019 puis mainte fois reportée, a pour objectif de réduire la pression exercée par le surtourisme. Le phénomène, qui étouffe l’environnement et la population Vénitienne, est en pleine accélération depuis la levée des restrictions sanitaires. La ville accueille en effet une moyenne de 30 millions de visiteurs chaque année, contre seulement 50 000 habitants. Une situation devenue invivable pour les résidents locaux, qui ne semblent pour autant pas convaincus par l’instauration de la taxe destinée aux touristes.
“Venise continue de perdre ses habitants”
Cette dernière a même suscité la colère d’une partie des Vénitiens. Le jour du lancement de la mesure, et alors que les premiers voyageurs étaient contrôlés, quelque 500 personnes étaient rassemblées pour dénoncer la muséification de la ville, renommée “Veniseland” pour l’occasion. “Nous, on se bat pour que ça reste une vraie ville habitée. Pas grand-chose n’est fait pour ça, alors que c’est ce qui limiterait vraiment le surtourisme”, témoigne une résidente auprès de France Info.
En lieu et place d’une taxe, les habitants appellent au plafonnement des loyers, à la mise en place d’un quota de visiteurs ou encore à la régulation des logements de courte durée. “Notre objectif est de rendre Venise plus vivable”, assure le maire, Luigi Brugnaro, lors d’une conférence de presse. Les recettes de la taxe pourraient être allouées à l’entretien de la ville et à la réduction du coût de la vie rapporte Euronews. Une telle disposition peut-elle néanmoins permettre de lutter contre le surtourisme ? Rien n’est moins sûr.
“C’est une mesurette”, estime Linda Lainé, rédactrice en chef de L’Echo touristique et autrice du livre Voyage au pays du surtourisme, interrogée par Novethic. “Venise continue de perdre ses habitants, 70% de la population a quitté la ville depuis les années 50. Pourtant, la municipalité continue de développer le tourisme”, ajoute la journaliste. L’aéroport Marco Polo, qui dessert la Sérénissime, a ainsi annoncé en 2023 un plan d’investissement lui permettant dans les années à venir d’augmenter sa capacité à 21 millions de voyageurs, alors qu’il accueillait seulement 4 millions de passagers en 2000.
“La taxe, c’est la fin du tourisme pour tous”
Par ailleurs, la taxe fixée par Venise ne serait pas assez contraignante. “Ça ne devrait pas empêcher les touristes de venir, le prix est trop faible rapporté au montant total d’un voyage”, explique à Novethic Armelle Solelhac, PDG de SWiTCH, agence de marketing spécialisée dans le tourisme. Malgré tout, conditionner l’accès à une ville au paiement d’un ticket d’entrée entraîne une situation d’inégalité sociale fait valoir Sophie Lacour, docteure en sciences de l’information et de la communication : “la taxe, c’est la fin du tourisme pour tous. C’est la sélection par l’argent.” La spécialiste du tourisme y oppose le principe de quotas, instauré avec davantage de succès par d’autres territoires, aux côtés d’une multitude de mesures.
Gel des ouvertures d’hôtels à Amsterdam, réservation payante et obligatoire pour la montée du mont Fuji au Japon, limitation à 4 000 visiteurs par jour dans la ville de Dubrovnik, augmentation du prix des billets de l’Acropole d’Athènes… Ces dernières années, les villes et sites touristiques recherchent activement des moyens efficaces pour contrôler les phénomènes de surfréquentation. “Ce ne sont que des mesures pansements. Elles permettent de répondre aux problèmes dans l’urgence, mais elles ne les règlent pas”, affirme cependant à Novethic Caroline Mignon, présidente de l’association des Acteurs du tourisme durable.
Un phénomène récent
Car le phénomène, devenu l’objet d’une contestation grandissante de la part des population locales, n’est adressé que depuis très récemment. Le surtourisme, dont le terme vient tout juste d’être ajouté au dictionnaire du Petit Robert 2025, a vu son ampleur s’accélérer de manière fulgurante ces dernières années. En cause, notamment, le développement des compagnies aériennes low-cost et des plateformes de location entre particuliers. Concilier l’afflux de visiteurs et la préservation de la qualité de vie des résidents demande ainsi une réflexion sur le long terme.
Plusieurs leviers, à associer, sont aujourd’hui considérés. Allonger les vacances scolaires et mettre en avant les séjours hors saison permettrait par exemple d’étaler la concentration de voyageurs sur une période donnée, tandis que limiter les locations de courte durée constituerait un levier concret pour contrôler les capacités d’accueil. Développer le digital pourrait également faciliter l’information et la sensibilisation des visiteurs. Mais “il faut avant tout s’appuyer sur la concertation, insiste Sophie Lacour. Au lieu de partir du touriste, il sera primordial de partir de l’habitant.”