Publié le 15 avril 2024

La relance des petites lignes par Railcoop n’aura pas lieu. La coopérative en qui tout le monde voulait croire met la clé sous la porte. Cet échec est-il le résultat des erreurs stratégiques de l’entreprise ou le signe d’une impossible concurrence à la SNCF ? Décryptage.

C’est bel et bien la fin du voyage pour Railcoop. Le 27 mars dernier, l’entreprise ferroviaire a annoncé à ses 14 500 sociétaires sa liquidation par le tribunal de commerce de Cahors, prévue ce jour. Placée en redressement judiciaire depuis l’automne 2023, elle espérait réussir à “retrouver une trésorerie satisfaisante”. Mais la coopérative n’avait pas anticipé un contentieux l’opposant à l’entreprise en charge du stockage de ses rames, à qui le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand a finalement donné raison. “La société nous réclamait 800 000 euros de frais de garage en sus des 300 000 euros déjà payés, écrit Railcoop dans un communiqué. Par cette décision, le tribunal (…) nous fait porter une nouvelle dette, insoutenable.”

Le projet était pourtant alléchant : connecter les territoires en relançant l’axe Bordeaux-Lyon, fermé en 2014 faute de rentabilité. Une dizaine de villes moyennes desservies sans passer par Paris, plus de 600 000 voyageurs par an, un service de nuit… Dès son lancement en 2019, l’entreprise affiche des objectifs ambitieux qui séduisent les citoyens et les collectivités. Mais l’histoire était peut-être trop belle. Rapidement, les obstacles se multiplient pour la coopérative. Choix de la liaison, complexité du projet, absence de soutien de la part d’investisseurs… “Je savais que c’était un projet fou mais je ne m’attendais pas à ce que cela suscite autant de freins”, reconnait Nicolas Debaisieux, fondateur de Railcoop, interrogé par la Dépêche du Midi.

“Une activité capitalistique”

La compagnie s’est notamment heurtée à la réalité de la filière ferroviaire française. “Il ne faut pas sous-estimer les difficultés d’entrée sur le marché”, prévient Alexandre Gallo, président de l’Association française du rail (Afra). A commencer par l’obtention du matériel roulant. “C’est la principale barrière aujourd’hui”, constate Cloé Chevron, directrice infrastructures et mobilités auprès d’Egis Conseil. Le matériel d’occasion est rare et la construction de rames longue et coûteuse. “Il faut attendre sept ans entre la commande et la livraison d’un TGV”, estime Victor Thévenet, Rail Coordinator au sein de Transport & Environnement. L’obtention des sillons, c’est-à-dire du droit de circuler sur les voies, et le coût des péages sont également évoqués. Ces derniers ont augmenté de 8% cette année pour l’ensemble des opérateurs.

Enfin, la question des financements reste centrale. “Le ferroviaire est une activité extrêmement capitalistique”, affirme à Novethic Florent Laroche, Economiste des transports. Lancer un service voyageur en tant que nouvel opérateur demande de mobiliser d’importants investissements. A titre de comparaison, tandis que la seule liaison envisagée par Railcoop nécessitait 10 millions d’euros, Blablacar a investi de son côté 20 millions d’euros pour racheter l’activité de bus de la SNCF, comprenant 300 destinations. Des conditions complexes confirmée par l’Autorité de la concurrence qui constate, dans un avis publié fin 2023, “une situation dissuasive pour les nouveaux entrants.” Dès lors, l’arrivée de nouvelles compagnies est-elle réaliste ? Sur cette question les avis divergent.

Les opérateurs publics favorisés

Si l’Afra veut y croire, certains observateurs y voient un véritable parcours du combattant. Pour viser l’équilibre financier, les opérateurs longue distance doivent transporter de gros volumes de voyageurs en assurant plusieurs trajets par jour sur des liaisons fortement demandées. C’est d’ailleurs l’un des points faibles du projet porté par Railcoop, qui avait choisi de se lancer avec une ligne transversale, peu entretenue et déficitaire. “En Europe, là où la mise en concurrence fonctionne, ce sont plutôt de gros opérateurs publics qui se positionnent”, rapporte Florent Laroche. En France, ce sont en effet Trenitalia et Renfe qui tirent leur épingle du jeu. La compagnie italienne mise particulièrement sur la ligne Lyon-Paris, l’une des plus rentable du réseau, avec l’ajout d’un sixième aller-retour quotidien en 2024. De son côté, l’opérateur espagnol a vendu plus de 500 000 billets en moins d’un an sur ses liaisons Barcelone-Lyon et Madrid-Marseille.

En face, les “opérateurs qui ne partent de rien ont des chances de succès assez réduites”, estime Florent Laroche. Pourtant les besoins sont importants et l’engouement des Français pour le rail est là. A l’été 2023, la SNCF a ainsi vendu 24 millions de billets. Un record. “Pour répondre aux objectifs de décarbonation de nos sociétés et inciter à prendre le train plutôt que l’avion ou la voiture sur des moyennes distances, il y a besoin d’un choc d’offre”, fait valoir Alain Gétraud, directeur général de la compagnie Le Train, dans une interview à Ouest-France. Les nouveaux arrivants constitueraient une proposition aussi complémentaire que nécessaire aux services proposés par la SNCF.

Améliorer l’offre pour accélérer le report modal

“L’entrée de ces opérateurs va améliorer et enrichir l’offre. C’est le cas par exemple avec l’opérateur Kevin Speed qui veut aller sur des lignes moins investies dans l’est de la France”, affirme Cloé Chevron. L’entreprise, qui se définit comme un RER grande vitesse, devrait en effet desservir Lille, Strasbourg et Lyon depuis Paris en s’arrêtant dans toutes les gares intermédiaires. L’ouverture de son service voyageurs est prévue d’ici 2028. De l’autre côté de l’Hexagone, dans le grand ouest, c’est l’opérateur Le Train qui se positionne. L’objectif est ici de relier, à partir de 2026, les grandes villes de la région sans passer par Paris. “Cela permettrait d’augmenter l’activité sur la LGV Sud Europe Atlantique qui n’est pas à son maximum actuellement”, remarque Victor Thévenet.

En complétant l’offre de la SNCF, les nouvelles compagnies devraient en outre entraîner une baisse des tarifs pour les usagers. “Sur Paris-Lyon, les prix ont baissé de 10% depuis l’arrivée d’un nouvel entrant et sans effet d’éviction de la SNCF”, affirme dans Les Echos Benoît Coeuré, Président de l’Autorité de la concurrence. Une réduction également observée chez nos voisins européens, comme en Italie, où un véritable report modal a été constaté. “Avant l’ouverture du marché, c’est l’avion qui prédominait sur la ligne Rome-Milan. Aujourd’hui, 80% des trajets sur ce segment se font en train”, appuie Alexandre Gallo. Qualité, service, tarif… C’est ce que demandent les voyageurs.”

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