Publié le 02 novembre 2023
ÉNERGIE
Railcoop : la belle aventure de la relance des petites lignes ferroviaires déraille
L’avenir de Railcoop s’assombrit. Retards, licenciements, arrêt du fret… Après avoir accumulé les coups durs durant plusieurs mois, la coopérative ferroviaire a été placée en redressement judiciaire. Elle bénéficie désormais de six mois pour trouver de nouveaux investissements et mener à bien la relance de la liaison Bordeaux-Lyon.

DAMIEN MEYER / AFP
L’aventure Railcoop touche-t-elle à sa fin ? La première coopérative française dédiée au ferroviaire a été placée lundi 16 octobre en redressement judiciaire. Évitant la liquidation, l’entreprise dispose désormais de six mois pour "retrouver une trésorerie satisfaisante". Un sursis qui pourrait lui permettre de "boucler le tour de table financier" afin de mener à bien son projet : relancer la liaison Bordeaux-Lyon, abandonnée depuis près de dix ans. Si Railcoop voit dans la décision du tribunal de commerce de Cahors une forme de "soutien", l’avenir de la petite coopérative semble bien incertain face aux obstacles qu’elle rencontre depuis plusieurs mois.
Une dizaine de villes moyennes desservies sans passer par Paris, plus de 600 000 voyageurs par an, un service de nuit… Dès son lancement en 2019, l’entreprise affiche des objectifs ambitieux qui séduisent les citoyens et les collectivités. En quelques mois seulement, la coopérative réunit 6 000 sociétaires et réussit à lever 1,5 millions d’euros lui permettant d’obtenir une licence ferroviaire. À l’automne 2021, elle lance en parallèle une ligne de fret entre les départements de l’Aveyron et de la Haute-Garonne. Rapidement, Railcoop se heurte néanmoins à la réalité du secteur ferroviaire et commence à accumuler retards et changements de direction.
Manque de trésorerie
Reportée à deux reprises, l’ouverture du service voyageurs sur l’axe Bordeaux-Lyon est finalement annoncée pour l’été 2024. Pour justifier sa décision, l’entreprise avance un manque de soutien financier de la part des banques et des investisseurs institutionnels, mais aussi des difficultés liées à l’obtention des sillons auprès de SNCF réseau et la disponibilité du matériel roulant. En mars 2023, un service plus "frugal" est envisagé avec seulement un aller-retour sur deux jours, à condition de lever 4,1 millions d’euros avant la fin de l’année. Moins d’un mois plus tard, alors qu’elle avait enregistré un chiffre d’affaires 2022 en dessous des prévisions attendues, la coopérative suspend sa ligne de fret "afin de concentrer ses ressources sur le lancement de la ligne voyageurs."
C’est un nouveau coup dur pour Railcoop qui subit un important déficit et doit licencier plus de 50% de ses effectifs. Pour répondre à un fort besoin de trésorerie à court terme, l’entreprise appelle alors à une levée de 500 000 euros avant la fin du mois septembre, mais échoue à atteindre l’objectif. Face à ces écueils, certains experts pointent du doigt la complexité du projet, inhérente aux spécificités de la filière. "Railcoop parle de l’envie de train dans les territoires, c’est une histoire que tout le monde a envie d’entendre, observe Patricia Pérennes, économiste spécialiste du transport ferroviaire, mais ils ont manqué d’une vision globale et économique du secteur."
Le modèle coopératif montre ses limites
À commencer par le choix de la liaison, fermée en 2014 faute de rentabilité. "Sur la carte c’est une bonne ligne. En revanche, quand on commence à réfléchir à la logique technique - la signalisation, la capacité, l’électrification, les rebroussements - tout devient compliqué", explique Patricia Pérennes. La capacité du système coopératif à porter ce type de projet est également interrogée. Pour l’économiste, ce modèle ne dispose pas d’une force de frappe suffisante, les 8 millions d’euros réunis par l’entreprise pesant bien peu en comparaison des subventions allouées chaque année au fonctionnement des trains régionaux.
"Si le projet repart, cela sera avec un modèle faisant appel à des investisseurs privés", estime-t-elle. Railcoop pourrait en effet trouver un second souffle suite aux discussions entamées il y a peu avec le fonds d'investissement espagnol Serena Partners. Véritable tournant au regard de l’esprit coopératif de l’entreprise, ce montage aboutirait à la création de deux nouvelles structures dont Railcoop deviendrait actionnaire minoritaire. Un changement de direction qui reflète, en outre, les difficultés de financement rencontrées par les entreprises de l’économie sociale et solidaire.
"L’urgence et l’ampleur de la transition écologique imposent de structurer de nouveaux instruments de financement et pour cela de nouer des alliances avec les pouvoirs publics", avance Timothée Duverger, Ingénieur de recherche à Sciences Po Bordeaux, dans une chronique publiée par Alternatives Économiques. Pour autant, l’État ne devrait pas entrer au capital social de Railcoop, comme le demandait la coopérative début octobre. "J’essaie d’accompagner quand nous le pouvons, financièrement, juridiquement, a en effet déclaré le ministre des Transports Clément Beaune, interrogé par le quotidien La Montagne, mais là, je ne me substituerai pas à la procédure judiciaire."