Alors que les acteurs européens sont en pleine réflexion sur la refonte de la réglementation SFDR, et que beaucoup réclament une clarification des normes liées à la finance durable, un nouveau rapport de l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA, en anglais) vient encore montrer le manque de clarté et de transparence du secteur financier en matière de durabilité. D’après les recherches menées par l’Autorité, les fonds se réclamant des Objectifs de développement durable (ODD) et laissant entendre qu’ils contribuent à l’amélioration de ces différents objectifs, ne seraient en réalité pas plus performants que les autres en matière d’impact.
L’ESMA a ainsi analysé la composition des portefeuilles de près de 200 “fonds ODD” opérant en Europe, c’est-à-dire de fonds affichant des allégations de contribution aux Objectifs du Développement Durable. Cette analyse révèle que la composition et la gestion de ces fonds sont similaires à celles des autres fonds d’investissement, et que le marketing des fonds autour des ODD est trompeur.
Des fonds ODD qui ne contribuent pas plus aux ODD que les autres
Lorsque l’on regarde la composition de ces fonds ODD, on voit que leur exposition moyenne à des entreprises participant à l’initiative du Pacte Mondial des Nations Unies sur les ODD ne diffère pas de celle des fonds non ODD. Concrètement, ce n’est pas parce qu’un fonds se revendique des ODD qu’il investit plus dans des entreprises impliquées dans les ODD. Pire, les fonds ODD ont même plutôt une exposition moyenne plus faible aux entreprises engagées dans le Pacte Mondial que les fonds ESG de manière plus générale, et sont plus proches des fonds non-ESG. Les fonds ODD ne détiennent pas plus que les autres d’obligations émises par les banques de développement, qui sont pourtant un maillon important de l’agenda des ODD. Seuls 9% des fonds ODD détiennent ainsi une obligation émise par une banque de développement, contre 12% pour les fonds traditionnels.
Mais cela va plus loin. L’analyse des indicateurs des principales incidences négatives des actifs des fonds étudiés, permet de voir que les actifs des fonds ODD ne performent pas mieux que leurs homologues non ODD. Ainsi, par exemple, les sociétés détenues par des fonds ODD affichent sur leur scope 3 des émissions de gaz à effet de serre jusqu’à 50% plus élevées que celle des autres fonds. Preuve que ce n’est pas parce qu’un fonds se réclame des ODD que ses actifs ont nécessairement de meilleurs impacts sur les indicateurs ESG (Environnement, Société, Gouvernance).
Un marketing trompeur autour des ODD
Ces résultats rappellent d’abord les limites des Objectifs de développement durable. Les ODD sont un outil au périmètre large, destiné initialement principalement à des États souverains, et n’établissant pas d’exigences d’un reporting harmonisé et standardisé pour les acteurs privés. Tout cela rend difficile son utilisation comme référentiel de transformation concret pour les acteurs économiques et financiers. Le dernier rapport de progrès publié par le Pacte Mondial montrait d’ailleurs que les ODD étaient encore essentiellement utilisés comme un outil de communication et de marketing, sans s’inscrire comme levier de transformation profonde des modèles. En l’occurrence, la plupart des fonds ODD ne précisent pas clairement comment leur stratégie d’investissement s’aligne sur des objectifs concrets et les fonds prétendant contribuer aux ODD ne semblent pas tenir leurs promesses, ce qui pose un réel problème de transparence pour les investisseurs et les différentes parties prenantes.
Plus largement, l’ESMA confirme ici que les fonds d’investissement continuent de mettre en place un marketing trompeur en matière de durabilité. Ces conclusions rejoignent celles d’une étude publiée par Novethic en 2023. Elle constatait que les fonds dont les noms mentionnent des termes liés à la transition écologique (comme “durable”, “ISR” ou “impact”) ne reflétaient pas nécessairement une stratégie durable ambitieuse. Alors que le marché des fonds dits durables ne cesse d’augmenter, cela rappelle l’importance d’établir un cadre normatif plus clair, permettant de mieux s’y retrouver dans la jungle des terminologies du secteur. Une telle normalisation sur les noms des fonds commence d’ailleurs à émerger, notamment dans le monde anglo-saxon. Après les régulateurs américains, qui avaient renforcé leurs règles encadrant les pratiques de dénomination des fonds, l’autorité de régulation britannique s’est aussi attaquée au sujet dans sa réglementation sur les fonds durables en novembre dernier. L’Europe pourrait bien être la prochaine sur la liste.