Publié le 13 février 2024

Des piscines, un aéroport, une marina… Pangeos, paquebot géant, ville flottante de tourisme de luxe, devrait voir le jour en 2030. Une infrastructure gigantesque censée abriter 60 000 touristes, qui suscite déjà des questionnements autour de son impact environnemental et véhicule l’image d’un tourisme de l’hyper-consommation.

550 mètres de long, 610 de large, 8 milliards de dollars de coût de construction, pouvant abriter jusqu’à 60 000 personnes… C’est bien la démesure qui caractérise Pangeos. Ce projet, véritable ville touristique flottante en forme de tortue géante, imaginé par le cabinet italien Lazzarini Design Studio, ambitionne de devenir le plus grand navire de croisière du monde. Une immense infrastructure de tourisme de luxe, qui dépasserait largement les plus grands paquebots de croisière actuels.

Et de fait, avec ses centres commerciaux, une marina, un aéroport, des piscines, des immeubles et des jardins… Pangeos fait de l’ombre à l’actuel plus grand navire de croisière du monde, Icons of the Seas. Ce dernier est pourtant gigantesque avec ses 7500 passagers.

La démesure n’est pas seulement dans les équipements. Icon of the Seas émet, selon YachtCO2Tracket, plus de 750 tonnes de CO2 par jour simplement pour alimenter ses moteurs, soit environ 750 allers-retous Paris-New York en avion. Des données qui font craindre le pire sur l’impact environnemental de Pangeos, près de 20 fois plus grand que Icons of the Seas.

Une ville flottante ultra-technologique qui se veut durable

Et pourtant, les concepteurs de Pangeos l’assurent : le projet est durable. Des systèmes énergétiques nouveaux permettraient de capter l’énergie cinétique des vagues pour “naviguer sans émissions”, des panneaux solaires sur les toits devraient permettre une autonomie énergétique et des moteurs électriques promettent de faire avancer ce titan des mers de façon durable. Pourtant, Béatrice Jarrige, cheffe de projet mobilité longue distance et voyage durable au Shift Project, est sceptique : “Il faudrait voir si la promesse d’autonomie énergétique est tenue, mais je n’ai jamais vu de technologie de captage de l’énergie cinétique des vagues qui fonctionne bien. Je me garderai de donner un avis définitif, mais ça me paraît curieux qu’on puisse miraculeusement développer ces systèmes énergétiques alors que personne ne sait le faire.” Contactée par Novethic, l’entreprise à l’origine du projet n’a pour l’instant pas donné de suites.

D’autre part, l’impact environnemental du projet doit être analysé dans sa globalité. La construction de Pangeos devrait nécessiter des quantités gigantesques de matériaux et d’énergie. La consommation des passagers sur Pangeos engendrera aussi des impacts environnementaux, sans parler des transports entre le navire et le continent, puisque, trop gros pour les ports, il ne sera accessible que par avion, hélicoptère ou bateau. L’entreprise n’a pour l’instant pas livré de bilan carbone ou d’analyse de cycle de vie du projet, mais il y a de grandes chances que mis bout à bout, les impacts écologiques d’un tel projet soient colossaux, encore plus que ceux des super-yachts actuels.

L’imaginaire du gigantisme touristique

Au-delà des aspects purement techniques du projet, Pangeos incarne surtout tous les paradoxes du secteur touristique au regard des enjeux environnementaux. Alors que le dernier rapport du GIEC (Groupe intergouvernemental d’étude sur l’évolution du climat) rappelle l’importance de la sobriété dans la transition climatique et écologique globale, Pangeos, comme d’autres méga-projets touristiques, symbolise exactement l’inverse : un tourisme toujours plus luxueux, des infrastructures toujours plus gigantesques, des technologies toujours plus avancées, toujours plus de consommations de ressources et d’énergie.  “Ce genre de projets, c’est la croisière, en pire. Le tourisme durable, c’est plutôt l’aventure d’une forme de sobriété, la découverte, le dépaysement, souvent à pied, à vélo, en train… Il y a une dimension d’immersion dans des cultures différentes. Ici, rien de tout ça, on est dans l’entre-soi de touristes riches… Ce n’est pas vraiment ce qu’il faut nourrir comme image pour un tourisme durable”, estime Béatrice Jarrige.

C’est toute la difficulté de la transformation durable du secteur touristique. Il génère près de 11% des émissions de gaz à effet de serre mondiales, sans parler des atteintes diverses aux milieux naturels. Certains acteurs réfléchissent à de nouvelles formes de tourisme plus durables qui visent à minimiser les émissons de gaz à effet de serre consommations énergétiques et de ressources, à préserver le patrimoine local et à mieux partager la valeur créée par l’industrie avec les communautés locales. Mais bien souvent, le développement de ces nouveaux modes de voyage se heurte à la persistance d’un imaginaire touristique ancré dans l’hyper-consommation. Un imaginaire qui a semble-t-il de beaux jours devant lui, quand on voit l’enthousiasme avec lequel Pangeos a été décrit dans les médias spécialisés.

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