Publié le 20 décembre 2023
Le groupe écologiste au Sénat a obtenu le feu vert pour lancer une commission d'enquête sur la major TotalEnergies. Plus précisément, il s'agit d'identifier les moyens mobilisables par l'État pour assurer la mise en cohérence par le groupe TotalEnergies des engagements climatiques et des orientations diplomatiques de la major avec ceux de la France. Un rapport publié simultanément propose des options pouvant aller jusqu'à la nationalisation, la réquisition voire la mise en "faillite climatique" de l'entreprise.

L’objectif est de "faire toute la lumière sur les activités de Total", affirme Yannick Jadot. Le nouveau sénateur de Paris, ancien candidat à l’élection présidentielle fait partie des signataires d’une résolution du groupe écologiste proposant une commission d’enquête sénatoriale sur TotalEnergies. Celle-ci a obtenu le feu vert du Sénat jeudi 14 décembre. Les élus Verts débuteront leurs travaux en janvier et auront six mois pour rendre leurs conclusions. Cette procédure met à disposition des moyens d’investigation importants, les personnes auditionnées étant notamment tenues de répondre à la convocation et de prêter serment. 
Les commissions d’enquête sénatoriales sont des instruments pour contrôler l’action du gouvernement. Elles portent sur des politiques publiques et/ou des entreprises nationales. Il est de ce fait rare qu’elles visent des entreprises privées. Dans ce dossier, l’enquête ne porte pas à proprement parler sur TotalEnergies mais sur "les moyens mobilisés et mobilisables par l’État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France", selon la proposition de résolution déposée par les écologistes.   

"Total, c’est la parole de l’État français"


Deux lignes directrices se dessinent. La première est liée au non-respect des engagements climatiques français, européens et internationaux par TotalEnergies. La résolution s’appuie notamment sur une étude récente de Carbonbombs qui associe 23 bombes carbone à la major. La deuxième concerne la question des droits humains. "Il y a de multiples exemples de coopération de Total avec des régimes autoritaires. Je n’en prends qu’un. Quelques jours avant l’épuration ethnique du Haut-Karabagh, Patrick Pouyanné (son président, ndr) signait des contrats gaziers avec l’Azerbaïdjan. C’est en contradiction avec nos priorités diplomatiques et les valeurs que défend la France", fustige Yannick Jadot lors d’une conférence de presse.   
"Il y a une confusion entre les activités de Total et la diplomatie française, une forme d’opacité. Il suffit de reprendre la phrase de Vladimir Poutine quand il a rencontré Patrick Pouyanné pour la première fois en 2014. Le président russe avait alors affirmé : "Total, c’est la parole de l’État français". La commission permettra de faire la transparence sur ces liens", abonde Thomas Dossus, le porte-parole du groupe écologiste au Sénat. ONG, spécialistes de l’énergie, fonctionnaires français et européens, scientifiques du Giec et Patrick Pouyanné lui-même devraient être auditionnés.  
Contactée par Novethic, TotalEnergies nous fait savoir qu’elle a envoyé un courrier à la présidence du Sénat. La major "s’étonne" du lancement de cette commission d’enquête alors qu’elle n’est pas une entreprise nationale. Elle pointe également le fait que Yannick Jadot en soit le rapporteur alors qu’il a été renvoyé devant le tribunal par TotalEnergies pour diffamation. Enfin, le groupe insiste sur "la séparation des pouvoirs" qui impose à la commission de ne pas enquêter sur des affaires en cours.  

Mise en "faillite climatique"


"Il y a largement matière à commission d’enquête", confirme auprès de Novethic Olivier Petitjean, co-fondateur et coordinateur de l’Observatoire des multinationales. "Il y a une entente de fait entre les gouvernements successifs et TotalEnergies, et plus globalement le secteur pétrolier, pour ne pas engager de changements rapides", explique-t-il. Il a justement co-écrit un rapport pour 350.org, publié le 8 décembre, sur les moyens de mettre des majors pétrogazières comme TotalEnergies hors de nuire, en dehors des campagnes classiques ou des actions en justice. "On s’interroge sur la façon de sortir de l’impuissance organisée en matière climatique et sur le rôle du pouvoir public", poursuit Olivier Petitjean.
Le rapport met en avant trois axes : la régulation (climatique, fiscale, financière…), la démocratisation de l’entreprise autour de ses parties prenantes (travailleurs, représentants de la communauté scientifique, des usagers-consommateurs, …) et enfin la prise de contrôle publique (nationalisation, réquisition). "Bien sûr cela suppose un coût pour la collectivité mais il est acceptable au regard du coût de l’inaction climatique", souligne Olivier Petitjean, qui précise que des réflexions similaires sont menées dans d’autres pays du monde, en Autriche, en Italie, au Royaume-Uni, aux États-Unis ou encore au Brésil.
Outre la nationalisation et la réquisition, les auteurs proposent une troisième option, sans précédent historique : la procédure de sauvegarde climatique, inspirée des procédures de sauvegarde financière. "Au vu de ses actifs échoués et des coûts de réparation environnementale et climatique induits par ses activités, une major pétrogazière telle que TotalEnergies n’est pas en mesure de faire face à ses responsabilités et risque donc la faillite climatique", note le rapport. Tout autant de possibilités que la commission d’enquête sénatoriale aura le loisir d’explorer.
Concepcion Alvarez

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