Les jours passent et la situation devient de plus en plus alarmante chez Atos. Cet ex-fleuron de l’informatique française enchaîne les mauvaises nouvelles. Arrêt brutal des négociations avec EPEI, la holding de Daniel Kretinsky, dégradation en série de sa note financière, difficile renégociation de la dette… Atos semble se rapprocher chaque jour un peu plus du gouffre. Symbole de la descente aux enfers du groupe, le cours de bourse s’effondre depuis plusieurs mois, il a perdu près de 70% en six mois pour tourner autour de 2,40 euros. Les investisseurs fuient un groupe dont la gouvernance et la stratégie leur échappe et qui traîne une dette brute colossale de plus de 4,6 milliards d’euros.
Les alertes sur la gouvernance du groupe se sont en effet multipliées ces trois dernières années, suivies de près par les investisseurs durables. “Pour les spécialistes de l’analyse ESG qui sont attachés depuis de longues années aux risques de gouvernance, Atos est en alerte rouge depuis avril 2021 où les Commissaires aux comptes avaient émis des réserves sur les comptes de deux entités américaines. Depuis entre la valse des dirigeants et les accusations portées devant le parquet National Financier, Atos a franchi tous les paliers au point que les alertes de gouvernance ont conduit DNCA à proscrire la valeur de ses portefeuilles“, explique ainsi Léa Dunand-Chatellet, responsable du pôle ISR de DNCA.
Alertes en cascade sur la gouvernance
Atos est publiquement dans la tourmente depuis plusieurs mois, les procédures se multiplient tout comme les audiences parlementaires lancées par les élus qui s’inquiètent de la déliquescence de l’entreprise titulaire de la puissance de supercalcul nécessaire au nucléaire français, ou encore de la gestion informatique, dont la cybersécurité, des Jeux olympiques 2024 à Paris. Du côté des actionnaires minoritaires réunis dans l’Union des actionnaires d’Atos constructifs (Udaac), l’inquiétude est tout aussi forte. Dans leur audition au Sénat de début février 2024, ils évoquaient “des manquements dans la transparence des informations financières et stratégiques communiquées par Atos depuis trois ans aux parties prenantes, y compris aux actionnaires”. Le cabinet de conseil Accuracy a été nommé pour tirer au clair la situation financière d’Atos, en plus des auditeurs officiels du groupe, Deloitte et Grant Thornton. Il doit rendre ses conclusions le 20 mars, ce qui a conduit Atos à repousser de trois semaines la date de publication de ses résultats, prévue initialement le 29 février.
Dès l’assemblée générale du printemps 2023, des investisseurs, dont Sycomore AM, avaient déposé trois résolutions demandant la révocation de trois membres du conseil d’administration, dont Bertrand Meunier, alors président du groupe. Elles avaient recueilli près de 33% de votes favorables, démontrant déjà les dissensions au sein de l’actionnariat de la multinationale. Bertrand Meunier a été remplacé peu après par Jean-Pierre Mustier en octobre dernier.
Les dirigeants du groupe valsent facilement ces derniers mois. Le conseil d’administration a été largement remanié tout comme le comité exécutif. Dernier départ annoncé par Challenges, celui de Nourdine Bihmane. Nommé directeur général adjoint d’Atos en charge de Tech Foundations en juin 2022, l’entité qui regroupe les activités d’infogérance du groupe, il aurait décidé de jeter l’éponge suite à l’échec des négociations avec Daniel Kretinsky. Atos, dans un communiqué laconique du 28 février, a en effet annoncé l’arrêt des discussions avec EP equity investiment parce qu’il n’y avait “pas d’accord sur les nouvelles conditions contractuelles et financières“. A l’automne, pourtant, le sauvetage du groupe semblait reposer sur la scission des activités et le rachat par le magnat tchèque.
Un conseil d’administration transformé
Face à l’échec des négociations avec Daniel Kretinsky, Atos a opéré un nouveau revirement en nommant David Layani, président de Onepoint, une entreprise qui a fait sa fortune dans le web et le numérique. Le nouvel administrateur a des ambitions pour Atos et vient accompagné d’Helen Lee Bouygues, présidente de LB associés au conseil pour représenter l’entreprise devenue l’actionnaire de référence du groupe. David Layani tente depuis plusieurs mois de prendre le contrôle d’une partie des activités d’Atos (supercalculateurs, cybersécurité et logiciels) pour les rapprocher des activités de sa société spécialisée dans le conseil en transformation numérique.
Mais la situation financière d’Atos est au bord de la rupture. Les échéances de sa dette se rapprochent, avec notamment un prêt de 1,5 milliard d’euros qui arrive à son terme en janvier 2025 et une dette obligataire de 500 millions d’euros en novembre. L’agence de notation de crédit S&P global ratings se montre très pessimiste sur sa capacité de paiement. Elle a abaissé la note du groupe deux fois depuis le début de l’année, d’abord à B- pour le risque de liquidité au mois de janvier, puis à CCC le 9 février, en raison du risque sur le refinancement de sa dette. “Sans accord avec ses banques, cela pourrait mener à une restructuration de la dette dans les 12 mois, ce qui nous pourrions considérer comme (…) équivalent à un défaut“. Pour S&P, la faillite menace à très court terme.