2024 s’était terminée sur les chapeaux de roue pour la filière solaire, avec plus de 5 gigawatts (GW) de capacité supplémentaire installée, un record. Mais 2025 s’annonce au contraire comme l’année de la désillusion. Vendredi 7 mars, le gouvernement a ouvert pour consultation finale la dernière version de sa programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). À travers ce texte, qui doit définir la stratégie énergétique de la France pour 2035, le secteur solaire voit ses objectifs nettement revus à la baisse.
Dans la précédente version de ce document, l’exécutif prévoyait entre 54 et 60 GW de capacités installées en 2030, et une cible haute de 100 GW en 2035. Il mise désormais sur 54 GW au maximum d’ici la fin de la décennie et 90 GW au plus haut en 2035. D’ailleurs, le rythme de développement devra “tenir compte des prévisions d’évolution de la consommation d’électricité et de développement des flexibilités”, précise le document.
Le solaire, fusible d’un mix électrique déséquilibré
Une formulation difficile à digérer pour les principaux acteurs du secteur que Novethic a pu interroger. “La filière solaire est en train de pâtir de la dynamique qu’elle avait réussi à atteindre”, constate le président du Syndicat des énergies renouvelables, Jules Nyssen. “Elle souffre à la fois d’être la dernière arrivée dans le système électrique français mais aussi parce qu’elle a le plus gros potentiel de développement”, fait-il remarquer, tout en constatant qu’elle est surtout aujourd’hui “la seule variable d’ajustement”.
En effet, seuls les objectifs du développement solaire sont directement liés à la consommation d’électricité. Or, celle-ci augmente moins rapidement que prévu. Selon RTE, elle serait même beaucoup plus faible avec une demande estimée à 580 térawattheures (TWh) en 2035 contre 650 TWh initialement projetés. La raison : certains nouveaux usages électriques ont pris du retard, au premier rang desquels l’électrification du parc automobile français.
Du coup, il va falloir ralentir pour éviter que ce surplus d’électricité sur le marché n’entraîne un phénomène de prix négatifs. D’ailleurs, certains acteurs de la filière du nucléaire ont déjà pris position et ont trouvé dans le solaire le bouc émissaire idéal. EDF, dans une concertation nationale sur l’énergie et le climat, a signalé qu’elle trouvait les ambitions de la filière “significativement trop élevées”. Ce qui, selon l’énergéticien français, “conduirait à déséquilibrer le mix de production électrique français et l’adéquation offre/demande”. Même son de cloche pour le Haut-commissaire à l’énergie atomique, Vincent Berger, qui estime que “la croissance du photovoltaïque devrait être revue à la baisse dans la PPE” pour ainsi éviter “une surproduction très pénalisante pour le consommateur ou le contribuable”.
Une filière fragilisée et 60 000 emplois menacés
Des revendications qui semblent avoir été entendues au sein des plus hautes sphères gouvernementales. En plus de réviser à la baisse les objectifs du solaire dans la PPE, l’État ferme également le robinet des aides à l’installation pour les petites toitures (immeubles, maisons) mais aussi pour les moyennes structures, comme les ombrières agricoles, hangars, écoles ou encore parkings, via un projet d’arrêté tarifaire présenté le 12 février. Pour le ministre de l’Énergie, Marc Ferracci, “nous ne reculons pas, nous structurons les aides pour un développement plus efficace et mieux ciblé”.
Les nouveaux projets photovoltaïques vont pourtant s’avérer moins attractifs pour les particuliers. Avec ce nouveau système tarifaire, le tarif de rachat devrait être divisé par trois, passant de 12,76 centimes d’euros le kilowattheure à 4 centimes. De même, la prime d’installation, qui est aujourd’hui comprise entre 1 000 et 1 500 euros, sera divisée de moitié. D’ailleurs, ces mesures seront rétroactives au 1er février. Toutefois, une baisse de la TVA à 5,5 % est à prévoir au 1er octobre 2025.
Ces annonces, encore floues pour le moment, inquiètent la filière. “C’est un nouveau moratoire à peine caché”, fustige Arthur de Paepe, vice-président de l’association Le Solaire territorial, en référence à celui de 2010, qui avait causé la perte de 20.000 emplois. “Il y a aujourd’hui un risque d’être obligés d’abandonner les projets en cours en raison d’une infaisabilité économique rétroactive et, pire encore, d’une dégressivité annoncée des tarifs d’achat qui serait dramatique pour notre filière, menaçant 60 000 emplois à court terme”, précise-t-il, allant des installateurs aux charpentiers, couvreurs, électriciens…
Un appel à accélérer l’électrification des usages
“Une partie de la filière ne va pas survivre au risque de perdre toute l’expertise qui a été développée ces dernières années en France”, alerte également Jérôme Mouterde, cofondateur et directeur général de Dualsun, fabricant français de panneaux solaires pour le secteur résidentiel. “Notre filière investit sur du temps long, 20 ou 30 ans, nous ne pouvons pas avoir ces effets de ‘stop and go’ alors que la filière fait son possible pour accélérer la décarbonation”, abonde-t-il.
“Nous sommes bien le seul pays européen à mettre le pied sur le frein alors qu’il faudrait au contraire accélérer car l’impératif, nous l’oublions, c’est la décarbonation”, déplore aussi David Gréau, délégué général d’Enerplan, plaidant pour l’accélération de l’électrification de nos usages, de la mobilité à nos industries. Toute la filière appelle donc le gouvernement à revoir sa copie, quitte à réfléchir à une redéfinition des heures creuses ou au développement de batteries de stockage.
De leur côté, 164 sénateurs de la majorité LR-Union centriste, soit près de la moitié de la chambre haute, appellent aussi François Bayrou à retravailler le texte et à renoncer à la publication de la future programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) par décret. Dans un courrier, ils fustigent l’absence de “vision globale” derrière cette feuille de route notamment sur le nucléaire qu’ils jugent relégué au second plan. Deux visions décidément irréconciliables du future énergétique de la France s’affrontent.